La stratégie interministérielle de lutte contre les conduites addictives 2023-2027 a été publiée

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Article rédigé par Benjamin Tubiana-Rey 22 mars 2023
Le gouvernement vient de publier sa « Stratégie interministérielle de mobilisation contre les conduites addictives » jusqu’en 2027. Un document porteur de plusieurs avancées et qui prend en compte l’efficacité — constatée par les études scientifiques — de la réduction des risques et de l’intervention précoce ainsi que l’importance primordiale des inégalités sociales de santé dont les addictions sont un déterminant majeur. Voici la lecture qu’en fait la Fédération Addiction.

La Mildeca vient de publier sa Stratégie interministérielle de mobilisation contre les conduites addictives 2023-2027. Ce document trace les grandes lignes de la stratégie du gouvernement en ce qui concerne les addictions pour les quatre prochaines années.

La Fédération Addiction se félicite globalement de ce document qui reconnait la place importante de la réduction des risques, du soin et de la prévention, et aborde clairement la question des inégalités sociales de santé. La stratégie pose le principe d’une politique qui doit être interministérielle et qui mobilise tous les leviers d’action au niveau national mais aussi territorial : les professionnels de l’addictologie ne peuvent que souscrire à cette approche.

Qu’est-ce que la Mildeca ?

Créé en 1982, la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives est un organisme placé sous l’autorité du Premier ministre. Il est chargé de coordonner les actions de l’État et de ses différents ministères en matière de lutte contre les drogues et les addictions.

La Mildeca s’appelait jusqu’en 2014 Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (MILDT).

La stratégie interministérielle de mobilisation contre les conduites addictives 2023-2027

Le bilan du plan national de mobilisation contre les addictions 2018-2022

Une approche qui s’éloigne de la seule répression

La Mildeca écrit « une addiction résulte de la rencontre entre un individu, un produit et un environnement » (p. 29) : c’est un constat que les professionnels des addictions soulignent depuis longtemps et il est heureux de le voir ici repris dans un document stratégique de l’État. La politique gouvernementale s’éloigne ainsi explicitement d’une approche des drogues fondée sur la seule répression, comme ce fut trop souvent le cas.

La mise en avant du développement des compétences psycho-sociales comme levier essentiel de prévention (p. 11 et p. 35) est une excellente orientation que nous soutenons et partageons dans la suite de l’instruction interministérielle d’août 2022. Les programmes de prévention Unplugged (en classe de 6e et 5e) et Primavera (primaire et collège) — tous deux appuyés par la Fédération Addiction — sont d’ailleurs explicitement cités. L’intérêt de l’intervention précoce est réaffirmé, notamment par l’action des consultations jeunes consommateurs (CJC) (p. 39 notamment).

Plus largement, la Stratégie interministérielle met en avant les opérations de marketing social (p. 37) tel que le « Mois sans tabac » (le « Dry January » en est une également, bien que non soutenu par l’État à ce jour). Les messages positifs et mobilisateurs ont en effet montré leur efficacité pour modifier les comportements et réduire les consommations alors que les campagnes plus « traditionnelles », centrées sur la dangerosité et une tonalité dénonciatrice, montrent leurs limites notamment chez les jeunes.

Enfin, le rôle d’encadrement et de régulation de l’État est mis en avant, notamment en ce qui concerne la publicité et l’interdiction protecteur de la vente aux mineurs (p. 40).

Les propositions de la Fédération Addiction

  • La mise en place d’un financement pérenne des missions de prévention des centres d’addictologie (aujourd’hui financées par appels à projet) et les moyens nécessaires aux CJC pour l’accomplissement de leurs missions
  • La poursuite et le renforcement des actions de prévention à destination des jeunes et des familles dans une stratégie d’intervention précoce
  • Expérimenter avec les structures d’addictologie de nouvelles modalités d’intervention vers les familles et les enfants de parents dépendants
  • L’investissement de l’État dans le développement des campagnes de prévention tel que le « Dry January » (qui n’est aujourd’hui porté que par des associations et collectivités)
  • Un meilleur encadrement des publicités pour les jeux d’argent et de hasard et l’application réelle de la vente aux mineurs pour les jeux, l’alcool et le tabac

La place importante de la réduction des risques

La Stratégie interministérielle donne une place importante à la réduction des risques, rappelant qu’« elle se fonde sur des résultats scientifiques solides et participe d’un ensemble de réponses » et qu’elle « est inscrite dans la loi » (p. 14) tout en soulignant qu’elle « demeure parfois mal comprise », ce qui est vrai. À ce titre, il convient de saluer l’engagement du document.

Il est ainsi notamment question des haltes soins addictions (HSA, anciennement dénommées salles de consommation à moindre risque) : le document souligne qu’il s’agit de disposi tifs qui ont été évalués positivement et qu’ils sont efficaces « pour améliorer la santé des usagers, éviter des coûts médicaux importants et limiter les nuisances pour les riverains » (p. 14). La Stratégie rappelle en outre que ces « dispositifs de réduction des risques bénéficient d’une large approbation de l’opinion publique française ». La Fédération Addiction salue ces affirmations claires de la part du gouvernement : elles devraient permettre l’ouverture de HSA — les projets sont prêts dans de nombreuses villes et n’attendent que le feu vert des autorités — et d’autres dispositifs de réduction des risques toujours mieux insérés dans leur environnement social.

L’enjeu de la réduction des risques en milieu festif est également abordé par le rappel qu’« il convient de permettre, en application de la loi, les actions de RdRD lors des rassemblements festifs, leur bon déroulement, en particulier lors que les évènements sont illicites » (p. 16). Alors que certains acteurs de la réduction des risques en milieu festif ont ces dernières années été soumis à des procédures abusives de la part de la justice ou des forces de l’ordre, il s’agit d’un rappel salutaire.

La Stratégie interministérielle mentionne également la prise en charge des addictions et la réduction des risques en détention, soulignant « la vulnérabilité́ particulière des personnes détenues face aux substances psychoactive ». Le document constate explicitement que celles-ci sont « très accessibles en prison » (p. 17) : le fait que des drogues soient présentes en prison est encore trop souvent nié par les pouvoirs publics. Cette reconnaissance de l’évidence doit permettre d’avancer dans la mise en place de politiques de réduction des risques à destination des détenus, ce à quoi invite le document gouvernemental dans un « continuum allant de la prévention aux soins/accompagnement en passant par une réduction des risques et des dommages adaptée aux spécificités et aux contraintes du milieu carcéral » (p. 46) comme prévu par le code de santé publique.

Les propositions de la Fédération Addiction

  • La création de haltes soins addictions dans toutes les villes où elles sont nécessaires
  • La publication du décret sur la réduction des risques en prison, prévue par la loi depuis 2016
  • La mise en œuvre d’une campagne d’information pédagogique sur la réduction des risques

Les inégalités sociales de santé

Toutes les données le montrent : les catégories sociales les plus défavorisées sont plus à risques de développer des conduites addictives qui vont en retour encore aggraver leur précarité. Les addictions sont un déterminant majeur des inégalités sociales de santé. La volonté de lutter contre ces inégalités est clairement exprimée dans la Stratégie interministérielle (p. 15). C’est un excellent objectif qui doit amener à des mesures ciblées et énergiques.

La Fédération Addiction mène plusieurs projets en ce sens, notamment à destination des publics précaires en centres d’hébergement, des personnes souffrant de pathologies mentales ou en situation de handicap. Ces actions, mentionnées dans le document (p. 16), doivent être développées pour mieux encore intégrer la dimension addictions à l’accompagnement global des personnes.

Le document souligne par ailleurs la question de la santé mentale des jeunes : celle-ci s’est dégradée pendant la crise Covid-19 et « peut conduire à une augmentation des conduites addictives » (p. 13). La Fédération Addiction travaille avec ses partenaires du Collectif national pour la santé des jeunes et attend un engagement important de l’État sur ce sujet car si les évolutions actuelles sont plutôt favorables en ce qui concerne les usages de substances psychoactives, la tendance est préoccupante quant aux abus d’écrans (réseaux, jeux en ligne…). Cela impose une vigilance particulière quant au repérage précoce des pratiques addictives et des vulnérabilités psychologiques de ces jeunes. Dans cette perspective le rôle des CJC doit être renforcé en soutien aux familles concernées.

Les propositions de la Fédération Addiction

  • La mise en place d’actions en faveur des publics spécifiques partout où cela est nécessaire : jeunes, précaires, femmes, HSH…
  • Une action interministérielle de coordination des politiques en faveur de la santé des jeunes
  • Développer et consolider le dispositif CJC

Le statut légal des produits : un blocage difficile à justifier

La Stratégie interministérielle souligne à juste titre que « les dispositifs d’encadrement et de régulation doivent être évalués au regard de leurs objectifs de santé et d’ordre publics » (p. 19). À la lumière des chiffres de consommation comme des budgets investis dans la répression par les forces de l’ordre, ce constat devrait conduire à s’interroger sur les lois en vigueur en France.

Ce n’est malheureusement pas le cas : le document se borne par exemple à noter que « la cocaïne et le crack » sont « de plus en plus accessibles » (p. 18) sans s’interroger sur l’(in)efficacité de la pénalisation de ces usages. En ce qui concerne le cannabis, il est affirmé que « changer le statut légal […] n’aurait de sens que s’il était avéré, par des données scientifiques robustes, qu’une telle évolution permettrait effectivement d’atteindre les deux objectifs princeps, la diminution des usages de cannabis et la réduction de la criminalité » (p. 20) : deux objectifs que la politique d’interdiction est pourtant incapable d’atteindre depuis 50 ans !

Les propositions de la Fédération Addiction

  • La fin des sanctions pénales à l’encontre des consommateurs
  • Une réflexion sur le statut légal du cannabis dans la lignée des rapports parlementaires et de l’avis du CESE sur la question