Réglementation de la publicité pour les paris sportifs : l’urgence de légiférer

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Article rédigé par Fédération Addiction 20 décembre 2022
Alors que la coupe du monde de football vient de se terminer, la France a de nouveau assisté a une augmentation sans précédent des paris sportifs… Ce qui ne va pas sans poser de sérieux problèmes en matière sociale et de santé publique. La Fédération Addiction réitère ses propositions afin de mieux encadrer la publicité des opérateurs de paris. Une urgence alors que la France s'apprête à accueillir la coupe du monde de rugby en 2023 et les Jeux olympiques en 2024.

Comme l’indique le courrier adressé le 2 décembre à l’Autorité nationale des jeux (ANJ) et à l’ARCOM par la secrétaire d’État chargée de la Jeunesse, Sarah El Haïry, la situation concernant le marché des paris sportifs inquiète légitimement le gouvernement.

Les chiffres sont en effet sans ambiguïté : alors que les mises s’élevaient à 366 millions d’euros lors de la Coupe du monde de football en 2018, elles devraient atteindre jusqu’à 600 millions pour l’édition 2022. Cette augmentation s’accompagne d’un basculement important de parieurs, notamment des jeunes, vers des comportements de jeu problématiques. Alors que la France accueillera la Coupe du monde de rugby en 2023 et 2024 verra l’organisation la même année des Jeux olympiques de Paris et de l’Euro de football, il devient urgent pour l’État de réguler le secteur.

Paris sportifs : une situation inquiétante pour la santé publique

Les jeux de hasard et d’argent sont la seule addiction comportementale reconnue cliniquement par l’OMS. L’explosion du marché des paris sportifs en France ne va en effet pas sans poser problème, tant au niveau social que pour la santé publique :

  • Près d’un million et demi de personnes en France sont des joueurs à risque modéré ou des joueurs excessifs (classement ICJE) ;
  • Selon une étude de la SEDAP, plus d’un tiers des 15-17 ans ont joué au moins une fois dans l’année et parmi eux, 35 % ont un comportement de jeu problématique… alors même que les jeux sont censés être interdits aux mineurs ;
  • 60 % des joueurs à risque ont un revenu inférieur à 1 100 € nets par mois.

Le profil-type du parieur, jeune homme urbain aux revenus modestes, ne doit rien au hasard, comme le souligne une récente revue de la littérature menée par l’Observatoire français des drogues et conduites addictives : il résulte de stratégies marketing, délibérément agressives, de la part des opérateurs de paris. Ceux-ci ciblent non seulement les 18-34 mais également les populations issues des quartiers populaires auxquels les opérateurs font miroiter la possibilité de changer de statut social grâce au jeu, de posséder des signes extérieurs de richesse, et/ou de sécuriser l’avenir financier de leur famille. La vision même du sport s’en trouve détournée : l’association de messages publicitaires des paris sportifs aux grandes figures du sport et aux équipes tend à faire du pari un engagement envers l’équipe, redessinant le parieur comme le « véritable » supporter.

Ces facteurs contribuent à faire de l’économie des paris sportifs un secteur particulièrement néfaste : aujourd’hui, 40 % du chiffre d’affaires des opérateurs proviennent de joueurs problématiques.

Pour que le jeu redevienne un plaisir, il est temps pour l’État de réguler.

Un cadre législatif et réglementaire insuffisant

L’ANJ a publié en février 2022 de nouvelles « lignes directrices et recommandations » concernant la publicité pour les jeux d’argent. Celles-ci ont ainsi interdit toute représentation de mineurs dans les publicités mais également le fait de faire croire à « la possibilité de changer de statut social » grâce au jeu ou les « signes extérieurs de richesse ou de produits de luxe ». Toutefois, le montant des amendes prévues en cas de manquement sont ridicules face au chiffre d’affaires des opérateurs et le pouvoir de l’Autorité en matière de publicité reste en grande partie du domaine de la recommandation et celle-ci est aujourd’hui incapable de limiter la pression des messages publicitaires, comme l’ont montré les campagnes liées à la Coupe du monde 2022.

Les opérateurs continuent ainsi à jouer en toute conscience avec les limites déontologiques. Ainsi, malgré les lignes directrices de l’ANJ, la campagne d’un opérateur a récemment fait l’objet de plusieurs critiques de la part du jury de déontologie publicitaire… ce qui ne l’a pas empêché d’être diffusée, ainsi que celles des autres entreprises opératrices de paris.

Notre objectif, pragmatique, est celui de la réduction des risques et des dommages : nous proposons de bâtir une régulation robuste permettant aux joueurs de continuer à se distraire tout en réduisant les risques de perte de contrôle

Réguler pour que le jeu redevienne un plaisir

Fidèle à sa conception générale de contrôle des addictions, la Fédération Addiction ne s’inscrit pas dans une perspective naïvement prohibitionniste : notre objectif, pragmatique, est celui de la réduction des risques et des dommages liés aux pratiques addictives, y compris en matière de jeu d’argent. Nous proposons ainsi de bâtir une régulation robuste permettant aux joueurs de continuer à se distraire tout en réduisant les risques de bascule vers la perte de contrôle :

  • Afin de casser l’idée sous-entendue par le marketing qu’un « bon » supporter est un parieur, il convient d’interdire aux sportifs et commentateurs sportifs d’utiliser leur image pour la promotion de paris sportifs.
  • Limiter les publicités télévisées autour des matchs par un whistle to whistle ban : l’interdiction des publicités télévisées pour les paris sportifs de 5 minutes avant le match jusqu’à 5 minutes après le coup de sifflet final. Cette interdiction a fait ses preuves au Royaume-Uni en réduisant de 97 % le nombres de spots TV vus par des mineurs de moins de 17 ans.
  • Limiter la présence publicitaire dans les stades en interdisant de faire apparaitre les côtes du match d’un opérateur sur les écrans d’affichage avant le match et pendant la mi-temps. La question du sponsoring d’équipe ou de stade par des opérateurs devrait également être posée.
  • La création d’une liste d’acteurs autorisés à diffuser de la publicité pour les paris sportifs afin d’éviter que des « influenceurs » en fassent la promotion auprès d’un public jeune.
  • Interdire les offres promotionnelles tels que des bonus, mises offertes, etc. qui incitent à jouer d’avantage.

Au-delà de la réglementation de la publicité, il est urgent de réellement appliquer l’interdiction de jeu aux mineurs.

Ces mesures de régulation devront s’accompagner, pour être pleinement efficaces, d’une véritable politique de prévention donnant les moyens nécessaires et pérennes aux consultations jeunes consommateurs, à l’intervention précoces et s’appuyant sur le développement des compétences psycho-sociales.

2024 sera une année sportive importante avec le Championnat d’Europe de football et l’accueil par la France des Jeux olympiques et paralympiques. Afin que ces évènements ne deviennent pas des vecteurs supplémentaires de pratiques problématiques de jeu, nous proposons que ces mesures de régulation de la publicité soient adoptées dès 2023.