Articulation entre santé et justice : se rencontrer pour le bénéfice des personnes suivies

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Article rédigé par Barbara Sclafer 16 février 2023
Si le code pénal prévoit la possibilité pour la justice d'imposer des soins obligés, la rencontre entre les mondes judiciaire et celui de la santé n'est pas évidente. Les échanges formalisés sont parfois absents. Entre acculturation, protocolisation et innovation, avoir une réflexion commune sur l’articulation entre santé et justice comporte de nombreux intérêts.

Les intérêts d’une relation partenariale

Le dispositif des soins obligés est à la rencontre de deux secteurs, la justice et la santé, dont les attentes ne sont pas forcément les mêmes. Pour un centre de soin, d’accompagnement et de prévention en addictologie (CSAPA) qui suit des personnes en obligation de soins, des questions très concrètes peuvent se poser : quelles sont les attentes du service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) sur le contenu des attestations ? Quelles informations est-il possible de transmettre à la justice à propos des personnes orientées ?

Ainsi, certains CSAPA développent des relations partenariales, le plus souvent par des réunions avec le SPIP. Mais il est également possible d’entrer en contact avec les magistrats : ces échanges permettent de réfléchir ensemble aux objectifs et limites de chacun et de définir ainsi les modalités de la coopération.  

Samra Lambert, vice-présidente du tribunal judiciaire de Créteil explique : « selon les services, ils vont demander une analyse de sang, des attestations, avec cette idée qu’il faut un papier, un retour palpable. Quand on a une demande d’un magistrat, il faut voir ce qu’il attend derrière. » Pour elle, « Tout se résout très facilement si on arrive à dialoguer : vous voulez des analyses de sang mais vous n’êtes pas médecin, comment allez-vous les analyser ? Quelles informations cherchez-vous à travers elles ? On le voit dans les pratiques, c’est en échangeant sur les analyses et à propos du secret médical qu’on fait évoluer les conceptions et qu’on peut trouver un terrain de collaboration. »  

Pour la magistrate, l’enjeu est celui de l’acculturation entre les deux mondes :

« Il arrive que des personnes disent à l’audience qu’elles sont déjà suivies au CSAPA maist le magistrat va tout de même mettre une obligation de soin en se disant que ça ne peut pas faire de mal. Mais il y a déjà une libre adhésion au soin et on y ajoute de la contrainte… ce qui peut être contre-productif. Ça devrait être davantage questionné. »

Innover dans l'articulation entre santé et justice : l’exemple de la justice résolutive de problèmes

Dans certaines villes, la coopération entre santé et justice va plus loin par l’expérimentation de dispositifs innovant s’inspirant de la justice résolutive de problème (JRP).

Il s’agit de donner le choix à des personnes multirécidiviste de s’engager dans un parcours spécifique intégrant justice et santé. Le magistrat est formé à l’approche motivationnelle et rencontre la personne régulièrement pour faire le point sur son suivi. Les différents acteurs se coordonnent pour que chacun suive des objectifs communs définis avec la personne. L’objectif général du dispositif est d’inscrire la personne dans un processus de désistance et de rétablissement. 

Lors de notre webinaire national sur les soins obligés en 2021, l’association Le Pari à Lille présentait le dispositif Trampoline, exemple d’expérimentation de JRP.

 

Présentation d'un exemple d’expérimentation de JRP par l’association Le Pari à Lille

Les initiatives pour adapter ces expérimentations en France sont de plus en plus nombreuses. En 2022, l’École nationale de la magistrature a lancé un appel à projet pour que des équipes addictologie-justice bénéficient d’une formation sur site en vue du développement d’un dispositif de JRP. Le CSAPA le Pélican à Albertville a pu participer à cette formation : « C’était cinq jours de formation dont deux sur l’addictologie. Ce qui était intéressant, c’était de travailler sur les représentations des uns les autres et de partager cette culture commune. » raconte Sylvie Duverger, cheffe de service.

À l’issue de cette formation, les différents partenaires en sont sortis avec une amorce de réflexion pour adapter le dispositif sur leur territoire, des feuilles de route pour préciser le projet, et l’organisation de réunions à venir.

Rapport de l’École nationale de la magistrature et de la Mildeca sur la justice résolutive de problèmes

Comment rencontrer la justice quand on est professionnel de l'addictologie ?

Pour de nombreux CSAPA, l’interlocuteur principal du côté justice est le service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) avec qui le travail est souvent le plus direct. La rencontre, au-delà de réunions de travail, peut également prendre la forme d’accueil de professionnels, à l’image du CSAPA Ménilmontant qui accueille en stage des conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation. 

Mais il peut également être intéressant de prendre contact directement avec la présidence du tribunal : « Il ne faut pas hésiter à passer par le magistrat coordinateur de la formation au niveau de la cour d’appel, ça permet de regrouper plusieurs tribunaux. » précise Samra Lambert.  

Pour les magistrats du parquet, Amandine Boyer, substitut du procureur, recommande de contacter les référents : « Parmi nos attributions, nous avons tous une ou plusieurs spécialités au sein du parquet. Cela fait partie de notre travail de voir comment ça se passe en dehors du tribunal. Il n’y aura pas forcément de référent addictologie, mais en passant par les référents violences conjugales, victimologie ou encore sécurité routière, vous trouverez des interlocuteurs intéressés par la création de liens avec les CSAPA. »