Crack à Paris : après Forceval, une consommation toujours visible et dispersée
En octobre 2022, la police démantelait la scène ouverte de Forceval (19e arrondissement de Paris) qu’elle avait elle-même installée un an auparavant. Depuis, quelle est la situation des usagers de crack à Paris ?
Leon Gomberoff : La situation de Forceval était unique, avec un point d’attraction et de tolérance à la consommation dans lequel des personnes d’Île-de-France et de partout en France venaient consommer. Le démantèlement a mis fin à ce point d’attraction mais n’a évidemment pas fait disparaitre les usagers de crack !
Suite à l’évacuation, il y a eu un travail de dispersion des usagers par les forces de l’ordre. Ils ne sont pas incarcérés, mais leurs regroupements sont souvent interrompus. Cependant, un nouveau regroupement se fait dans ce qu’on appelle la Forêt linéaire, vers le canal Saint-Denis et ; la nuit, des personnes se regroupent comme toujours à Stalingrad et à Porte de la Chapelle.
On remarque par ailleurs deux évolutions dans la consommation de rue ces derniers années : d’une part, la vente de cocaïne à moins d’un gramme, à destination d’usagers pauvres, et d’autre part une augmentation conséquente de l’injection de cocaïne parmi les usagers de crack mais pas seulement. Cela représente potentiellement un problème de santé publique majeur.

Le crack est une forme dérivée de la cocaïne. Alors que la cocaïne en poudre est généralement sniffée ou injectée, le crack est obtenu en transformant la cocaïne avec du bicarbonate de soude ou de l’ammoniaque pour la rendre fumable. Cette forme cristallisée, souvent moins chère, produit un effet rapide et intense… mais de très courte durée, ce qui favorise une consommation compulsive. Son usage dans les rues de Paris est associé à une grande précarité et à des risques sanitaires importants.
Quels sont les différents dispositifs d’accueil et d’accompagnement pour les usagers de crack ?
LG : Toutes les structures parisiennes du dispositif spécialisé accueillent des usagers de crack. Mais il existe différents dispositifs spécifiques mis en place dans le cadre du « plan crack » qui vont au de là des seules maraudes.
Ainsi, à la porte de la Chapelle, Aurore et Gaïa-Paris gèrent un espace de repos ouvert 24 h sur 24 et 7 jours sur 7. Sa fréquentation est très importante, et est un bon baromètre de ce qu’il se passe dans la rue : on a plus de 150 personnes qui viennent en journée. Et quand il y a des évacuations ou de la pression envers les consommateurs de crack dans l’espace public, on peut aller jusqu’à 250 personnes.
Il existe aussi le dispositif ASSORE, qui permet un hébergement en hôtel et un accompagnement pour des consommateurs de crack. C’est un dispositif de 620 places. Les personnes qui en bénéficient peuvent retrouver une stabilité dans leur vie quotidienne et ça leur est bénéfique. Ce service permet des orientations vers le soin, vers des activités et vers un dispositif original d’insertion qui s’appelé TAPAJ Adulte géré par le groupe SOS. Cependant les places ne suffisent pas pour accueillir toutes les personnes qui souhaiteraient en bénéficier et, à la sortie de ce dispositif, il reste complexe de réorienter les personnes vers le droit commun.
Et aussi, dans le sud de Paris, Aurore gère avec Gaïa Paris un centre ambulatoire de rétablissement qui s’appelle CARE dans lequel on propose aux consommateurs de crack, et d’autres produits, des programmes, des ateliers dédiés surtout à la gestion du craving (l’envie de consommer). L’objectif c’est d’apprendre à gérer son temps, organiser sa vie de manière à espacer les temps de consommation et ainsi réduire la consommation compulsive. Les personnes sont accueillies après avoir été orientées par une structure : elles construisent un petit projet de soin et viennent soit parce qu’elles souhaitent arrêter complètement, soit pour diminuer leur consommation. Cet accompagnement peut durer plusieurs mois.
La prise en charge des usagers de crack à Paris n’est pas parfaite, mais s’est considérablement améliorée ces dernières années. En plus de ces nouveaux dispositifs de soins spécifiques au crack, nous disposons, grâce à l’ARS, aussi de la possibilité d’hospitaliser rapidement les personnes présentant des comorbidités psychiatriques dans des lits dédiés à l’hôpital Sainte-Anne.
Les autorités ont beaucoup mis en avant les dispositifs permettant aux usagers de crack de quitter l’Île-de-France : comment cela se passe-t-il ?
L’agence régionale de santé d’Île-de-France a un programme qui propose des places en soin résidentiel en dehors de la région, dans un objectif d’éloignement des consommateurs franciliens de leur lieu de consommation. Et c’est logique : le craving résulte de stimuli externes, comme les lieux de consommation que l’on connait. Le fait par exemple de s’approcher de Stalingrad peut augmenter un désir de consommation. Donc partir en région, pendant plusieurs mois, dans des endroits où toutes ces images sont moins présentes peut être utile : cela permet à la personne une réflexion sur elle-même et une mise à distance de la consommation. Et cela intéresse des usagers, de pouvoir partir, changer leur style de vie.
Qu’est-ce qu’il manque aujourd’hui pour tenter de régler ce phénomène de consommation de rue à Paris ?
LG : En ce qui concerne le crack, il n’y a aujourd’hui aucun lieu de consommation de crack sécurisée. Malheureusement à Paris il y a une seule halte soins addictions (HSA), gérée par Gaïa Paris, elle ne peut, pour l’instant, accueillir que des consommateurs de drogues par injection et ce n’est pas suffisant. L’HSA de gare du nord a clairement permis de réduire les consommations de drogue en rue autour de la Gare. Cependant une grande partie des consommateurs de drogues dans l’espace public à Paris consomment par inhalation : il faut des nouvelles HSA dans la capitale et il faut qu’elles proposent des postes d’inhalation. Cela permettra de réduire les problèmes qui se posent dans la rue, d’améliorer la tranquillité publique et de raccrocher les consommateurs à des parcours de soin.
On a beaucoup parlé des consommateurs de crack parisiens, mais il y a de la consommation de crack ailleurs qu’à Paris ?
LG : Oui ! S’il y a une chose que le projet AIPAUC de la Fédération Addiction a montré, c’est que la consommation de cocaïne basée se fait partout en France. À Paris, un plan a été mis en place par les pouvoirs publics pour la prise en charge des consommateurs mais ailleurs cela dépend des villes et des régions, toutes n’ont pas encore pris la mesure du phénomène.