« Ça y est, je ne suis plus toute seule ! » : rencontre avec les Narcotiques anonymes

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Article rédigé par Aurélia Olmi 27 mars 2024
Les Narcotiques anonymes ou NA sont implantés en France depuis 1983 : ils proposent aux personnes dépendantes un programme de rétablissement basé sur le désir d'abstinence. Nous avons rencontré Benjamin, Clara et Solène, membres des NA, pour qu'ils nous racontent leurs parcours de consommation et de rétablissement.

Les Narcotiques anonymes ont été créés aux États-Unis en 1953 sur le modèle des Alcooliques anonymes. Depuis 1983, ils sont implantés en France et proposent un programme de rétablissement pour personnes dépendantes à une ou plusieurs substance(s) psychoactive(s). La seule condition pour être membre des Narcotiques anonymes est le désir d’arrêter de consommer.

Le programme, en douze étapes,  s’appuie sur des groupes d’entraide composé d’hommes et de femmes « pour qui la drogue est devenu un problème majeur ». Les NA sont présents dans toutes les régions de France et fonctionnent sur le modèle de réunions entre personnes désireuses de rechercher de l’aide pour elles-mêmes et d’apporter de l’aide aux autres dépendants. Benjamin, Clara et Solène ont accepté de nous parler de leurs parcours et de leurs activités au sein des NA.

Pouvez-vous nous raconter votre parcours et quel a été l’impact des Narcotiques anonymes sur votre rétablissement ?

Solène :  « Moi, j’ai commencé assez jeune au lycée. L’après-midi, après les cours, j’allais boire dans des cafés, fumer du shit, prendre des médicaments quand il y en avait, du Lexomil souvent. Déjà, j’avais une appétence pour les choses qui me faisaient « un peu partir ». Je suis d’une famille où il y a des problèmes de toxicomanie. Ma sœur était héroïnomane et j’ai commencé à prendre de la cocaïne dans mon métier de journaliste. Puis, en changeant de boulot, je me suis retrouvée à travailler dans un domaine où il y avait beaucoup beaucoup de cocaïne. À la faveur d’une soirée, on m’a fait goûter de l’héroïne que j’ai mélangée avec de la cocaïne. Lentement je suis allée vers l’héroïne et j’ai consommé pendant 10 ans. À la suite de cela, je suis partie prendre des médicaments de substitution en Belgique, car c’était le seul endroit où se les procurer à l’époque. Pendant un moment j’ai arrêté, mais la substitution ne convenait pas. Ma sœur qui avait eu des problèmes de dépendance était chez les NA et elle m’a dit un jour : « viens voir ! ».

J’y suis allée une première fois mais ce n’était pas le moment. Et j’y suis retournée 4 ans plus tard. Cette première réunion était dingue. Lorsque je me suis rendue chez NA j’étais alors totalement isolée, je n’avais plus de boulot et tout à coup arriver dans une réunion avec une ambiance très bienveillante et où on se reconnait m’a énormément aidé. J’ai fondu en larmes. « Ça y est, je ne suis plus toute seule ». Puis j’ai été prise en charge par les anciens. Grâce à cette entraide, je suis devenue abstinente. Le plus dur a été d’arrêter ma drogue de choix : l’héroïne.

Le reste a été moins difficile et je suis restée clean pendant 3 ans, j’ai retrouvé un boulot, une vie affective.

J’ai rechuté parce qu’un jour j’ai pris un verre d’alcool à l’occasion d’une soirée boulot. Mon fiancé de l’époque consommait de la cocaïne. Je m’étais dit « plus jamais d’héroïne » et j’ai replongé. J’ai consommé à fond, et j’ai de nouveau tout perdu durant trois ans. Les NA était alors sortis de ma vie. Mes amis n’étaient plus mes amis de NA mais des gens qui consommaient.

Je ne me rappelle plus par quel miracle je suis retournée en réunion. C’est difficile quand on a rechuté 3 ans, on craint le regard des autres mais je suis revenue.

J’ai eu la chance d’arriver à arrêter, j’ai eu une petite fille, un boulot, un mec. Je suis ré-entrée dans la vie.

Mais, à l’époque la codéine était en vente libre et je ne sais pas pourquoi, un jour, je suis rentrée dans une pharmacie et j’ai demandé du néocodion. Et je me suis raccrochée à ce médicament. Mais là, je n’en ai pas parlé, c’est-à-dire que je continuais à aller en réunion mais je n’en parlais pas, ce qui fut une grande souffrance, et puis je me suis « fait gauler ».

C’était il y a plus de 13 ans. Depuis, ma fille a grandi, je suis à la retraite, j’écris. J’ai raconté mon histoire dans un livre qui a été publié et je continue à aller en réunion et je suis vraiment heureuse d’être là, avec vous et de vous raconter cela, de transmettre ce que j’ai eu la chance de connaître. Voilà, NA c’est une fraternité et j’ai besoin d’avoir des gens autour de moi, de me sentir utile.

Arriver à vivre sans consommer, c’est une sacrée chance ! »

Clara : « Je suis dépendante, j’ai commencé à consommer tard, à la vingtaine. Avant cela, je jugeais les drogués comme des loosers et j’étais assoiffée de performances professionnelles, sportives, festives. À un moment donné j’ai eu besoin de prendre des médicaments qui me dopent pour tenir le coup. J’ai été facilitée par une famille de médecins, et j’ai commencé par des coupes-faims, qui avaient un effet d’amphétamines. Mon parcours est très classique : j’ai pris des drogues comme de l’ecstasy pour sortir et puis, après, des médicaments pour dormir parce que je ne dormais plus et je me suis « finie » à la cocaïne au bout d’une vingtaine d’années de consommation.

Je me suis retrouvée en hôpital psychiatrique, sur un fauteuil roulant avec la bave, sous Tercian. Pour sortir de là, à un moment donné j’ai rencontré un homme. C’était un ancien alcoolique qui avait arrêté grâce aux Alcooliques anonymes. Je ne savais pas que tout cela existait et je lui ai demandé s’il connaissait le même système pour des gens qui prenaient autre chose.

Je suis allée pour la première fois à une réunion Narcotiques anonymes il y a 17 ans et demi et j’ai 17 ans et demi d’abstinence. Donc, en fait, pour moi, NA a fait basculer ma vie, m’a sortie de ma consommation et surtout d’une grave dépression. Petit à petit, j’ai repris goût à la vie et j’essaye de parler de NA autour de moi car je crois vraiment que cela sauve des vies. C’est un message d’espoir pour ceux qui passent 20 ou 30 ans de leur vie à se dire « Demain, j’arrête » et qui se retrouvent avec une terrible estime d’eux-mêmes. J’ai également arrêté de fumer des clopes et je n’ai pas recommencé. Ce que je trouve comme richesse de vie, je sais que je vais le perdre tout de suite si je reconsomme.

Pour moi c’est vraiment le lien à l’autre et le fait d’entrer en résonance avec le monde qui a changé les choses. Le produit sert à couper cette résonance en fait, c’est une illusion de croire que le produit aide à surmonter des obstacles. Le plus important c’est d’être en lien avec l’autre, c’est cela que je ne veux pas perdre. »

Benjamin :  « Ça fait 8 ans que je suis abstinent. J’ai consommé des produits psychoactifs sur le tard. Avant cela, j’avais commencé l’alcool vers l’âge de 17 ans. La première fois que j’ai consommé j’ai pris 5 verres, direct, ça m’a fait rire et ça m’a plu tout de suite. Alcool puis shit, j’ai fait trente ans de restauration en consommant au bout d’un moment de l’ecstasy, de la cocaïne.

Ma mère était alcoolique mais abstinente donc j’ai connu les AA très jeune (j’avais treize ans) et NA par ma famille également, lorsque j’avais 25 ans. Mais je n’ai eu recours à NA que bien plus tard.

Pendant plus de 20 ans, j’ai consommé, arrêté, reconsommé. Et puis je suis devenu patron de bar à 34 ans et j’ai arrêté de consommer par moi-même pendant 3 ans et demi sans aide. Et puis, j’ai replongé. À ce moment-là, je suis allé chez AA un petit peu. Durant cette période de ma vie, j’ai tenu 350 jours. Le 350e était un jour de l’an. Pendant la soirée j’ai bataillé avec mon envie d’une coupe de champagne et, ainsi, je suis reparti pour les 4 pires années de ma vie, avec alcool et cocaïne. Je savais que NA existait mais je ne voulais pas venir.

Pour moi, le déclencheur ça a été de perdre mon frère qui est décédé à cause de l’alcool. Je suis arrivé au bord du gouffre, j’ai failli tout perdre, emploi, famille, et j’ai eu la chance dans une soirée de rencontrer quelqu’un qui faisait partie des Narcotiques anonymes. Je lui ai demandé comment ça se faisait qu’il ne buvait pas. C’est lui qui m’a emmené à ma première réunion et là, j’ai capitulé et je me suis dit qu’il fallait que j’y aille. Ma vie a changé, je ne réalisai pas avant cela que j’étais malheureux.

Aujourd’hui à 49 ans je suis retourné à l’école, j’ai changé de métier, et je suis heureux avec ma femme, mes enfants et les gens qui m’entourent. Aujourd’hui je viens dans le comité, j’ai pris du service chez NA, je rends service aux autres. »

Comment fonctionne une réunion NA et pourriez-vous nous expliquer ce qu’est « le service » ?

Solène : « Une réunion des Narcotiques anonymes, c’est un groupe de dépendants. Dès qu’il y a plus de deux personnes, on peut ouvrir une réunion, ça rassemble des gens qui ont le désir d’arrêter de consommer. Les réunions se passent toujours de la même manière, quel que soit le lieu dans le monde où elles se produisent. On loue des salles où l’on se réunit, NA se veut autonome financièrement. On s’adresse aussi aux mairies, à des maisons des associations, parfois aux églises.

Durant les réunions, nous sommes généralement en cercle autour d’un modérateur qui se charge de donner la parole et de lire le texte qui ouvre la session. En début de réunion, on donne le thème. Chaque groupe peut décider du déroulé de la session, mais NA c’est une conscience de groupe qui est garantie par les serviteurs qui occupent des fonctions de trésorier, secrétaire et d’autres comme la responsabilité de préparer le café.

Les textes et les traditions sont lus. Ce sont les principes fondateurs qui ont porté la fraternité depuis la création de AA dans les années 30 et les textes sont toujours les mêmes. Une fois le thème de la réunion énoncé, les partages se font à main levé.

Il y a des gens qui viennent en ayant consommé, dans ce cas, ils ne prennent pas la parole de manière à ne pas troubler la réunion. Chacun partage et dis « Je » car on n’incarne pas la fraternité, on parle pour soi. On ne fait pas de feedback, chacun partage et puis le suivant partage etc. Les réunions durent entre une heure et une heure et demie. »

Clara : « je distinguerais deux types de services : le service en groupe consiste pour ceux qui le souhaitent à préparer le local de la réunion, faire le café, installer la littérature. Ça peut permettre d’avoir rapidement un sentiment d’appartenance et d’assumer des responsabilités.

Quant au deuxième type de service, il s’agit du service en comité : de l’organisation des conventions par exemple, ou encore du lien avec les hôpitaux et les institutions, où l’on peut demander par exemple à quelqu’un de venir partager son témoignage. Être serviteur est une expérience gratifiante qui permet de gagner en confiance et en autonomie. »

Quelles sont les valeurs portées par les Narcotiques anonymes ?

Clara : « Je dirais tout d’abord beaucoup de gratitude durant les réunions. Puis, il me semble que la valeur principale chez NA est l’identification. Identification dans nos manières de fonctionner, car notre façon de consommer est très particulière et nous a conduit à avoir un chemin de vie spécifique en cherchant des solutions communes pour vivre dans l’abstinence.

Nous avons des principes spirituels comme l’honnêteté, l’ouverture d’esprit, la bonne volonté, la patience, l’humour aussi. Ce sont des choses qui nous aident à vivre. Des valeurs qui nous unissent. On s’identifie beaucoup sur le fond, sur une souffrance commune et la reconnaissance qu’on a tous de faire partie de NA. Cette émotion est ce qui nous aide à nous connecter avec nous-même en écoutant les autres qui sont présents à eux même. L’entraide nous met tous sur un même plan d’égalité quels que soient notre religion, notre genre, notre métier. Notre objectif chez NA est le même : construire une vie riche sans consommer. »

Quels sont les liens entre les Narcotiques anonymes et le secteur de l'addictologie ?

Clara : « Je crois qu’on commence à nous considérer comme des alliés. Au fond, notre association peut être complémentaire. Concernant les trajectoires des personnes, on peut avoir besoin de rencontrer un CAARUD qui va réduire les risques à un certain moment, puis un CSAPA qui va nous aider à trouver un logement ou une aide psychologique et puis peut-être un jour rencontrer NA, et se dire que l’abstinence peut être une solution… ou pas d’ailleurs !

La particularité de NA c’est qu’il n’y a pas de professionnels. Ça donne une autre dimension, qui fait qu’il n’y pas de sachants, de figures d’autorité, de comptes à rendre. Pas de rendez-vous manqués, d’obligations d’engagement.

On a des personnes qui ont connu NA grâce aux CSAPA. Et puis il y a des personnes comme moi qui ont entendu parler des CSAPA après être arrivées à NA. On peut se dire entre nous « Ah tiens si tu es à la rue, dans cette association, ils peuvent te prendre en charge et tout ça… » .

On essaye de se faire connaitre auprès des professionnels de santé. On a besoin d’avoir une plus grande visibilité et on se rend compte qu’il y a aussi des professionnels hors champs de l’addiction qui sont désireux de nous connaître. Là, ce matin, on est allés dans un centre de médecine du travail. On laisse des cartes de visites par exemple. On invite les professionnels à venir voir les réunions, aussi pour les rassurer sur le fait que c’est la liberté totale dans une réunion NA.

Après, il y a aussi le comité Hôpitaux et Institutions. Le but c’est d’aller voir des dépendants qui ne peuvent pas venir en réunion, par ce qu’ils sont dans des structures fermées. Il y a pas mal de rencontres qui sont organisées à la prison de la Santé par exemple.  Même chose dans une clinique ou un centre de décrochage. On vient simplement raconter notre parcours. Globalement il y a un bon accueil. Notre comité s’occupe aussi des médias, pour faire parler de nous. »

En savoir plus sur les Narcotiques anonymes

Pour trouver les coordonnées et une réunion des NA dans votre région, consultez leur site internet

narcotiquesanonymes.org