À l’académie Addiris de Paris, une réflexion collective sur les enjeux contemporains liés aux drogues et à la réduction des risques

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Article rédigé par Sacha Hertzog 8 octobre 2025
L’Académie Addiris de Paris le 22 septembre a réuni élu·es, professionnel·les de la santé, du social et du médico-sociales, magistrat·es, cherheur·euses, associations de défense des droits humain et personnes utilisatrices de drogues pour croiser expériences, savoirs et pratiques sur les enjeux liés aux drogues. Cet évènement confirme l’importance de créer des espaces d'échange réunissant toutes les bonnes volontés pour construire des réponses juste et adaptées aux questions que posent les drogues.

Le 22 septembre 2025, la Fédération Addiction, Oppelia et le programme D3S ont organisé à l’École des hautes études en sciences sociales du campus Condorcet (Aubervilliers) une « académie Addiris » décentralisée. Cette rencontre a rassemblé une vingtaine de participant·es pour une journée de réflexions sur les politiques des drogues et les pratiques cliniques : élu·es nationaux·ales et locaux·ales, magistrat·es, chercheur·euses, professionnel·les de santé, associations et représentant·es d’usager·ères. La pluralité des profils a permis de croiser les regards, de nourrir une approche transversale et de renforcer les liens entre expériences locales et débats internationaux.

Chacun·e a partagé le constat d’une politique française des drogues marquée par des contradictions profondes qui prennent leur source dans une vision fantasmée des personnes qui consomment des drogues, de criminelles à malades, de danger pour la société à danger pour elles-mêmes.

À propos du réseau Addiris

En 2023, des acteurs de la réduction des risques au Burkina Faso (association Espoir demain et la Plateforme nationale de plaidoyer et de lutte contre l’abus des drogues) en Côte d’Ivoire (Espace confiance), au Canada (AIDQ et RISQ), en France (Fédération Addiction et Oppelia), au Sénégal (le Centre de prise en charge intégrée des addictions de Dakar et l’université Gaston-Berger) ainsi qu’en Suisse (GREA et Licit) ont lancé le projet Addiris pour favoriser les échanges francophones et l’apprentissage sur la réduction des risques liés aux drogues.

En décembre 2024, rejoints par l'Institut universitaire sur les dépendances au Canada, le programme D3S en France et l'ASRDR au Sénégal, ils ont organisé une « académie internationale sur la réduction des risques » à partir de laquelle ont été créés des modules de formations vidéos. À cette occasion, les membre d’Addiris ont publié un manifeste francophone pour la réduction des risques.

Addiris est aujourd'hui un réseau francophone visant à unir les forces autour d’une approche humaniste des addictions et de la réduction des risques. Il regroupe des structures associatives, de recherche, de soins et de plaidoyer du monde francophone. Tous les membres du réseau partagent la conviction que la coopération et le croisement des savoirs permettent de construire des actions adaptées et efficaces.

À partir de 2025, les membre d’Addiris organisent dans tout le monde francophone des « académie Addiris » décentralisées afin de diffuser les principes de la réduction des risques et de proposer une nouvelle politique des drogues.

Combattre la stigmatisation, construire une nouvelle politique des drogues

La matinée du 22 septembre a porté sur les enjeux politiques et sociaux. Les participant·e·s ont échangé sur les contradictions institutionnelles, les effets délétères de la prohibition et la stigmatisation persistante des personnes qui consomment des drogues. La nécessité de coalitions locales fondées sur la réalité du terrain a été soulignée, ainsi que l’urgence de remettre en cause l’uniformité de la parole publique sur le sujet.

Les participant·e·s ont fait le constat d’un débat public qui ne tolère plus la complexité et s’enferme dans des discours simplistes et stériles. Le discours dominant ne conçoit les drogues que sous un angle répressif en exploitant les craintes des populations. Les personnes qui consomment des drogues, en particulier les plus précaires ainsi que les professionnels qui les accompagnent, sont alors stigmatisées et présentées comme la source de tous les problèmes de tranquillité publique.

La discussion a insisté sur l’importance de repositionner le débat autour de la santé, de la dignité et de la tranquillité publique. Rester enfermé dans un débat sur la légalisation ou prohibition stérilise le débat et ne peut donc pas être le point de départ des discussions. L’ensemble des acteurs et actrices s’accordent à dire que la réalité du terrain demande au contraire des réponses complexe : les enjeux variés autour du cannabis, de la cocaïne, du tabac ou du protoxyde d’azote, de même que les expériences étrangères comme celle du Portugal, montrent qu’il est nécessaire de penser une réponse nuancée et variée.

La prohibition posée en tant que postulat de base empêche de penser la politique des drogues dans toute la variété des réponses envisageables. Au contraire, les expériences locales telles que les salles de consommation à moindre risque illustrent que les politiques pragmatiques emportent l’adhésion des habitants comme des forces de l’ordres.

Faire le bilan de la médicalisation croissante de la prise en charge des addictions

Les participant·e·s ont également fait le constat que la figure du consommateur de drogues malade a permis de questionner celle du consommateur de drogues criminel. La prise en charge des addictions en France s’est donc historiquement structurée autour d’une médicalisation portée par l’émergence des traitements de substitution aux opioïdes.

Cette évolution a abouti à avancées notables : reconnaissance de l’addictologie comme discipline, mise en place de traitements de substitution pour les opioïdes, intégration des conduites addictives dans les politiques de santé publique. La médicalisation a contribué à rompre avec une vision purement morale ou pénale de l’usage de drogues et a ouvert des droits à des milliers de personnes. Elle a aussi permis de développer un champ de recherche, de renforcer la légitimité des professionnel·le·s de santé et d’inscrire les addictions dans le cadre plus large des maladies chroniques.

Mais ce mouvement montre aujourd’hui des limites. La tendance à réduire l’addiction à une « maladie du cerveau » peut occulter la dimension sociale, psychologique et politique des usages. La relation de soin souvent très voir trop asymétrique laisse peu de place au savoir expérientiel des usagers·ères. La pair-aidance et la co-construction des dispositifs restent trop marginales alors qu’elles sont un levier majeur d’efficacité du soins et de pouvoir d’agir des usager·ère·s des services.

Enfin, ce cadre médical tend à invisibiliser la dimension politique de la question des drogues. Cette dépolitisation s’inscrit dans une logique de désengagement global de l’État qui délègue aux professionnel·le·s de santé et du social la tâche de faire sens de ses contradictions. Défenseur zélé de la prohibition, l’État n’assume plus son rôle de régulation au profit de logiques économiques (place de l’industrie pharmaceutique, privatisation du marché des jeux d’argent et de hasard) qui continuent d’alimenter les vulnérabilités.

Réaffirmer une éthique commune et construire des coalitions

L’« académie Addiris » décentralisée de Paris s’est par ailleurs tenue dans un contexte politique marqué par une montée des logiques réactionnaires et une volonté d’intensification de la « guerre à la drogue ». Dans ce cadre, il est toujours plus urgent de réaffirmer la place de la réduction des risques pour les participant·e·s.

Les perspectives ouvertes par cette académie concernent à la fois le plaidoyer et la pratique clinique. Sur le plan politique, la construction de coalitions transpartisanes apparaît indispensable pour sortir des débats polarisés et construire une réponse adaptée à la complexité des enjeux liés aux drogues. Sur le terrain, il s’agit de renforcer la coopération entre acteurs·trices, de soutenir les expérimentations locales et de garantir la pérennité des dispositifs de réduction des risques.

Enfin, au sein même du secteur, l’académie a rappelé la nécessité de s’inscrire dans une logique d’apprentissage constant, et d’associer les usagers à la construction des pratiques. Elle constitue aussi un chaînon d’un mouvement francophone qui, à travers le réseau Addiris, entend promouvoir une réduction des risques et une politique des drogues attentive aux besoins des premiers concernés.

Comment rejoindre le mouvement Addiris

Addiris réunit des professionnel·les, chercheur·ses, militant·es, usager·es et institutions francophones engagés pour la réduction des risques liés aux usages de drogues. Le réseau invite chacun·e à promouvoir la réduction des risques et une nouvelle politique des drogues respectueuse des droits humains. Pour cela, il est possible d’organiser une « académie Addiris » dans sa ville pour nourrir le débat collectif sur les drogues. Plus d’informations sur addiris.org ou en contactant s.hertzog@federationaddiction.fr.