Consommation des jeunes : au-delà des interdits, miser sur les liens de proximité

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Article rédigé par Elsa Baldacci 12 septembre 2025
Jeudi 11 septembre 2025, deux informations ont fait l'actualité. Les derniers résultats de l’enquête européenne ESPAD ont confirmé une tendance encourageante : la consommation d’alcool, de tabac et de cannabis est en baisse chez les adolescents. Parallèlement, la commission d’enquête parlementaire sur Tik Tok rendait son rapport et alertait sur les défis liés à l’usage des réseaux sociaux à l’ère de la surexposition au numérique en recommandant l’interdiction aux mineurs de moins de 15 ans. L’occasion pour la Fédération Addiction de rappeler une évidence : les interdits seuls ne suffisent pas. Pour accompagner les jeunes, il faut continuer à investir dans le travail de proximité, aux côtés des familles et des acteurs de terrain.

Une jeunesse qui consomme moins… mais pas moins exposée

Les derniers résultats de l’enquête ESPAD, menée tous les quatre ans dans 37 pays européens, le confirment : la consommation d’alcool, de tabac et de cannabis est en baisse chez les adolescents de 16 ans. La France se situe désormais en dessous de la moyenne européenne pour l’ensemble des indicateurs d’usage, avec l’une des baisses les plus marquées du continent sur la dernière décennie. Entre 2015 et 2024, la proportion de jeunes ayant expérimenté une drogue illicite autre que le cannabis est passée de 7,5 % à 3,8 %, soit la baisse la plus remarquable d’Europe.

Ces évolutions traduisent l’effet combiné des politiques publiques, de la prévention, mais aussi de profonds changements culturels et sociaux. Comme le souligne Ivana Obradovic, directrice adjointe de l’OFDT, « moins de sorties dans les nouvelles générations d’adolescents, moins d’opportunité de consommer ». Les jeunes se tournent davantage vers les réseaux sociaux et sortent moins en soirée, limitant ainsi l’accès aux contextes festifs traditionnellement associés aux consommations. Le tabac est perçu comme un produit chimique et nocif, tandis que les comportements parentaux tendent à devenir plus vertueux, les adultes fumant et buvant moins devant leurs enfants.

Mais une baisse statistique ne signifie pas la fin des vulnérabilités. Dans une société addictogène, où le marketing, la publicité et l’omniprésence des produits façonnent les comportements, les jeunes restent exposés à d’autres risques. Polyconsommations, pratiques festives, précocité des expérimentations persistent. Et surtout, les logiques de consommation dépassent désormais largement les substances : elles concernent aussi les écrans, les jeux vidéo, les jeux d’argents et de hasards en ligne, les paris sportifs, les réseaux sociaux.

Ces usages multiples ont un impact sur la santé mentale, avec une montée des troubles anxieux, du repli sur soi ou de la perte d’estime de soi. Les risques ne disparaissent pas, ils se déplacent et se transforment.

Le numérique, nouvel espace d’exposition

Les jeunes passent aujourd’hui une part considérable de leur temps dans l’univers numérique. Selon une enquête publiée en février 2025 par We Are Social, les 16 ans et plus passent en moyenne 5h23 par jour connectés à Internet, tous usages confondus. Réseaux sociaux, jeux vidéo, streaming, jeux d’argent et de hasard en ligne : ces pratiques diversifiées structurent désormais leur quotidien.

Le rapport de la commission d’enquête sur les effets psychologiques de TikTok sur les mineurs publié ce 11 septembre souligne la puissance d’attraction de certaines plateformes dont TikTok et les dangers associés : promotion de produits de consommation, modèles de comportements à risque, mais aussi désinformation médicale, banalisation des violences ou encore contenus liés à l’automutilation et au suicide.

Ces usages numériques, loin d’être anecdotiques, s’ajoutent aux consommations de substances comme de nouveaux vecteurs de risque.

Par ailleurs, les discours sur le numérique sont souvent complexes voire contradictoires. Et traduisent parfois une méconnaissance des outils numériques ce qui rajoute du flou quant aux pratiques qui seraient les plus adaptées.

Face à ce constat, une réponse équilibrée semble indispensable : entre interdits protecteurs et investissement dans des actions de prévention, de soutien et d’accompagnement reposant sur les acteurs de proximité. Dans ce contexte, les professionnels de prévention, et notamment ceux des consultations jeunes consommateurs (CJC), apparaissent comme des ressources importantes pour accompagner les jeunes et leur entourage.

Miser sur le lien et la proximité : les CJC en première ligne

En effet, la prévention ne peut se réduire à des restrictions d’accès. Pour être efficace, elle doit s’ancrer dans la réalité des usages numériques et des pratiques de consommation des jeunes. C’est précisément le rôle des CJC : comprendre les logiques à l’œuvre (qu’il s’agisse des algorithmes des réseaux sociaux, des stratégies marketing ou des pratiques festives) et accompagner les jeunes dans leurs choix. Les CJC ont à la fois pour rôle de prévenir, d’informer et de renforcer la réflexion critique des jeunes. Elles travaillent non seulement avec les adolescents, mais aussi avec leur entourage, leurs parents, leurs enseignants, leurs éducateurs. Elles interviennent dans les lieux de vie des jeunes, là où les questions de consommation et d’usages numériques se posent concrètement. En créant un espace de confiance et de dialogue, elles permettent de dépasser la logique du seul interdit et d’outiller les jeunes pour naviguer dans une société où les sollicitations à consommer sont permanentes.

La Fédération Addiction continuera de porter dans les mois et les années qui viennent cette approche pragmatique et équilibrée pour la protection des jeunes face aux comportements addictifs, qu’il s’agisse de substances ou non.