« Parfois l’écran n’est pas un problème, mais une solution que le jeune a trouvée pour s’extraire d’un réel difficile »
Quand avez-vous commencé à travailler sur la question de l’usage des écrans ?
J’ai commencé à travailler à l’Association Douar Nevez en 2007, en tant que chargé de projet en prévention, avec mon collègue Guillaume Jegousse. Au départ, nos interventions étaient plutôt axées sur la réduction des risques et la prévention des usages de substances. Puis à partir de 2008-2009, nous avons été de plus en plus sollicités sur la question des écrans par les partenaires extérieurs et en particulier les collèges et les lycées. A l’époque, la thématique était encore émergente et il n’y avait pas en Bretagne d’interlocuteur identifié. Donc nous nous sommes formés et avons créé des outils pour intervenir sur cette question-là.

Qu’est-ce qui fait un usage problématique des écrans ?
Le cœur de métier de Douar Nevez, c’est l’addictologie, nous gérons plusieurs structures, CSAPA et CAARUD. Lorsqu’on parle d’écrans, nous ne parlons pas d’addiction aux écrans, en tout cas ce n’est pas notre approche. On va distinguer de choses : un usage à risque, et un usage excessif. L’usage à risque va mener, à un moment ou à un autre, à un danger. C’est répondre à un mail de phishing, se faire arnaquer, télécharger un fichier avec un virus, et ça peut arriver à tout le monde. Et puis l’usage excessif, c’est quand une utilisation des écrans devient trop importante, de telle sorte qu’elle amène chez l’utilisateur des conséquences négatives. Et ce qui va nous intéresser, c’est la conséquence négative. S’il n’y a pas de conséquences négatives, il n’y a pas d’usage excessif, même si on utilise énormément les écrans. On parle ici de conséquences sur la scolarité, les relations sociales, le sommeil principalement.
Alors oui, l’Académie de médecine reconnait un aspect addictogène aux écrans, car cela joue sur les circuits du plaisir. Mais pour nous, il y a quand même une grosse différence avec les addictions aux substances. Et puis, parler d’addiction, ça médicalise davantage l’adolescence, sachant que l’adolescence est, par nature même, excessive et, cela crée un « mauvais objet » qui met le parent à distance de l’écran.
Est ce qu'il y a une augmentation des consultations, des sollicitations sur ce sujet-là ces dernières années ?
De manière générale, c’est une problématique qui reste assez nouvelle du point de vue de la santé publique.
Ce qui est ce qui est sûr, c’est que les usages excessifs des écrans sont mieux repérés et mieux identifiés. Les consultations jeunes consommateurs sur notre département ont connu aussi un soutien important de l’ARS ces dernières années qui a permis de mieux les déployer sur les territoires. Donc oui, on reçoit plus de jeunes avec des problématiques liées aux usages excessifs des écrans Mais est-ce qu’il y en a plus qu’avant, ou est-ce que c’est juste que nous avons maintenant des outils de prise en charge et d’orientation et, qu’il y a par ailleurs une meilleure formation des professionnels encadrants, que ce soit au niveau de l’éducation spécialisée ou au niveau de l’éducation nationale ?
Par rapport aux réseaux sociaux, les problématiques que l’on a aujourd’hui, on les retrouvait déjà il y a 10 ans finalement. On en entend plus parler, en particulier lors de situations assez dramatiques de harcèlement, et on repère mieux aussi, donc on peut avoir l’impression qu’il y en a plus.
Et j’ai quand même la sensation que certaines campagnes de communication auprès des parents portent leurs fruits : quand on fait un sondage dans une classe, on a bien moins d’enfants qui ont une télévision dans leur chambre qu’il y a 15 ans par exemple. Pour le téléphone portable, lors de nos interventions auprès des parents, on encourage à décaler au maximum l’âge du premier téléphone.
Diriez-vous que la consommation d’écran d’un jeune doit amener son entourage à se questionner sur l’usage qui en est fait, et pourquoi ?
Oui, les écrans sont des outils qui apportent énormément de richesse à tous les niveaux, que ce soit culturel, ludique, sur l’information et cetera, mais qui nécessitent un accompagnement sérieux et solide. Et dès le plus jeune âge, sans attendre l’adolescence.
Aujourd’hui on est tous connectés mais avec des usages parfois différents. En conférences avec les parents, lorsque je demande qui joue de temps en temps aux jeux vidéos avec ses enfants, c’est une minorité qui lève la main. Or notre propos, dans le guide « parents dans un monde d’écrans » comme lors de nos interventions, c’est de dire aux parents : « intéressez-vous aux usages que vos enfants font des écrans, accompagnez-les, réveillez votre curiosité. Prenez un peu de temps sur Mario Kart, mettez-vous dans une posture ou vous apprenez d’eux ». Alors oui, les Youtubers et Tiktokers qui sont suivis par nos enfants ne nous intéressent pas forcément, mais il faut regarder avec eux pour savoir ce qu’ils y trouvent et créer les conditions d’un dialogue. L’idée c’est de comprendre les usages pour limiter les risques.
Comment voyez-vous évoluer la prévention face aux problématiques d’écrans ?
On se concentre souvent sur les jeunes et l’adolescence, mais quand je vois la manière dont les adultes se saisissent de l’information, il y a tout un travail sur les médias qui n’a pas été réalisé pour toute une génération. La diffusion de fausses informations, ça ne vient pas forcément des jeunes. Et ce ne sont pas les plus vulnérables face aux arnaques en ligne. Donc une prévention ciblée sur l’éducation aux médias me semble nécessaire, pour tous.
Dans les nouvelles perspectives, on aimerait aussi davantage sensibiliser les parents et les jeunes à l’émergence des intelligences artificielles, quelle complémentarité envisager avec ces nouveaux outils ? Car tout cela va évoluer très vite.
Pouvez-vous nous en dire plus sur vos interventions en classe ?
Avec notre service de prévention, nous voyons près de 1500 élèves par an, notamment car nous participons à un dispositif mis en place par le Conseil départemental du Morbihan : le livret pédagogique « Santé et Citoyenneté », dont se saisissent les chefs d’établissements, qui répertorie un certain nombre d’actions de prévention pouvant être financées.
Et en CJC, comment se passe l’orientation et la prise en charge ?
Les parents peuvent être à l’origine d’une consultation, mais cela peut aussi venir du jeune directement. Souvent ça va venir des encadrants, infirmières scolaires, CPE, enseignants, animateurs en centre social, qui nous ont identifiés lors de nos interventions.
Et souvent, en consultation CJC pour un usage excessif des écrans, on se rend compte que le problème ce ne sont pas les écrans, mais une situation de mal-être plus général, qui va trouver sa source dans l’environnement de l’adolescent, avec une situation compliquée sur le plan scolaire ou familial. Les écrans sont alors une porte qui permet de s’extirper d’un réel parfois lourd. Une fois cette problématique identifiée, les écrans deviennent secondaires. Une situation de harcèlement scolaire par exemple, peut amener un jeune à s’investir dans un jeu en ligne où il est valorisé. Et dans ce cas, l’écran n’est pas un problème, mais une solution que le jeune a trouvée.
Télécharger le guide « Parents dans un monde d'écrans »