Julie Douarin-Juignet, sur les 20 ans des CAARUD : « Il y aura toujours besoin de la réduction des risques ! »
Fédération Addiction : Avant toute chose, qu’est-ce qu’une personne consommatrice de drogues peut trouver dans un centre d'accueil et d'accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues (CAARUD) ?
Julie Douarin-Juignet : Depuis la loi de 1970, et plus largement dans le contexte d’une opinion publique marquée par les discours de lutte contre le trafic, les usagers de drogues sont fortement discriminés. Ils sont souvent perçus comme des « criminels » ou des « malades », ce qui est un frein énorme sur leur capacité d’agir et limite la possibilité d’empowerment.
A contrario, le premier rôle d’un CAARUD est d’offrir un accueil digne et sans jugement, dans un cadre apaisant et sécurisant. Il accueille les personnes comme des citoyens à part entière. C’est un lieu où l’on redonne de la dignité, où l’on reconnaît chaque personne comme un sujet capable d’agir. Cela implique un cadre relationnel basé sur la convivialité, le « se sentir bien », qui constitue la première étape de tout accompagnement.
Pour cela, différents outils existent, notamment la mise à disposition de matériel de réduction des risques. Ce matériel a une double fonction : préserver la santé des usagers bien sûr mais aussi servir de porte d’entrée relationnelle. Fournir du matériel, c’est reconnaître l’existence des consommations, permettre d’en parler, de mieux les gérer ou si cela n’est pas possible, au moins d’en discuter.
Le CAARUD se situe aussi à l’interface du soin et du care au-delà de la question de l’addiction : possibilité de se laver, de manger, d’accéder à des toilettes, d’avoir un lieu fixe où se poser. Une part importante du public accueilli est en situation de grande précarité, souvent très éloignée de tout soin, y compris l’accès à un médecin généraliste.
Du point de vue des professionnels, quelles sont les particularités du travail en CAARUD ?
nécessité proposés sur les lieux d’accueil fixes attirant un public non seulement usager de drogues mais ayant également des difficultés sociales, économiques, psychologiques et/ou somatiques.
Au CAARUD Sida Paroles 78, comme dans les CAARUD en général, un accueil adapté existe pour ces personnes « refusées partout ». Cela crée un travail particulier pour l’équipe, à la fois collectif et individuel, à court et long terme, avec comme premier outil la relation. L’enjeu est que les choses se passent mieux au CAARUD que ça a pu l’être auparavant ailleurs, que cela puisse faire expérience, créer du positif, comme première marche pour une suite différente… et choisie ! C’est un travail exigeant cependant, force est de constater, que cela se passe bien lorsque l’accueil mis en place par les professionnels est fondé sur la dignité.
Ce travail nécessite une forte disponibilité pour les professionnels qui peuvent parfois se sentir seuls face aux situations des personnes accueillies mais aussi dans cette manière de faire. C’est là d’ailleurs tout l’enjeu de développer des partenariats et de travailler sur les représentations des professionnels. La mission de médiation ne peut pas se limiter à la récupération de seringues où à la limitation des “nuisances liées à l’usage” : elle consiste aussi à faire du lien avec les partenaires pour améliorer l’accès des personnes consommatrices de produits à l’ensemble des dispositifs de droits communs ou de soin auxquels ils et elles ont droit.
Enfin même s’il s’agit d’une faible part des personnes accueillies sur le CAARUD, c’est aussi la possibilité d’accueillir des personnes consommant des produits psychoactifs sans forcément de problématiques sociales, ou de difficultés particulières avec leurs usages.
20 ans après, quel bilan dresser de l’institutionnalisation des CAARUD ?
La création des CAARUD a permis de pérenniser les postes et les financements et de rendre les structures moins dépendantes des politiques locales. En revanche, elle a parfois réduit la dimension militante de la réduction des risques : nous sommes davantage dans la mise en œuvre de missions médico-sociales et de santé publique.
Le décret fondateur des CAARUD a cependant intégré les missions historiques des associations de réduction des risques. L’esprit de l’accueil n’a donc pas été bouleversé, même si la formalisation des pratiques peur prendre beaucoup de place au détriment d’une certaine spontanéité et capacité d’innovation. Tout dépend aussi des associations : au-delà du cadre légal les directions et conseils d’administration doivent prendre en compte la parole des usagers et les remontées de terrain.
Ainsi, à Sida Paroles, nous avons toujours maintenu l’importance du savoir expérientiel en intégrant depuis le début, dans les équipes, des salariés ayant un savoir expérientiel qui s’étaient impliqué avant cette institutionnalisation.
En finalement, en te projetant, comment vois-tu les CAARUD dans 10 ans ?
C’est déjà difficile d’imaginer comment seront les CAARUD dans deux ans ! Le contexte politique est aujourd’hui compliqué et cela ne semble pas aller en s’arrangeant. Pour nous, il est urgent de mettre en avant l’intérêt général des pratiques de réduction des risques. Cela suppose d’expliciter clairement l’utilité de la réduction des risques pour l’ensemble de la population sans passer par le prisme de « la personne consommatrice à sauver ». Dans les interventions en milieux festifs par exemple, nous croisons toutes les catégories sociales.
Il faut rappeler que le premier problème est la prohibition qui met les personnes dans des situations intenables et empêche souvent de parler sereinement des consommations. Il n’existe aucune société sans drogues : la volonté de modifier ses états de conscience fait partie de l’humanité. Pourtant, cette question ne peut presque plus être discutée en raison de la culpabilisation constante des usagers.
C’est pour ça qu’il y aura toujours besoin de la réduction des risques ! Pour accompagner les consommations, pour offrir des repères permettant de prendre des décisions informées, pour maintenir un espace où la parole peut circuler.
Même si le contexte politique actuel ne pousse pas à l’optimisme, la question dépasse largement celle des drogues. Il s’agit de rappeler que chacun a sa place dans la société, quels que soient son origine, son genre ou sa consommation. Les CAARUD peuvent jouer un rôle dans cette tâche.