« On constate clairement une augmentation des consultations liées à l’usage de cocaïne »
Les chiffres de l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT) montrent une augmentation de la consommation de cocaïne sur les derniers années, avec plus d’un million de personnes qui en ont consommé au moins une fois au cours de l’année 2023. Comment cela se traduit-il dans un établissement comme l’hôpital Marmottan ?
Mario Blaise : On constate de manière assez évidente une augmentation des demandes de consultations pour des problèmes liés à l’usage de cocaïne, avec des addictions plus ou moins sévères. Et de manière générale d’ailleurs, on observe une augmentation des consultations liées aux psychostimulants : cocaïne mais aussi crack et cocaïne basée, métamphétamine, cathinones et 3MMC…

Parmi ces personnes concernées par des usages problématiques, est-ce qu'il y a des profils qui ressortent ? En termes de milieu social ou en termes de profession, ou est-ce que c’est plus diffus ?
MB : Je dirais qu’actuellement, c’est diffusé à peu près chez tous les usagers de drogue, et qu’on voit des usagers de tout milieu social car il y a de la cocaïne pour tous les budgets, de moins en moins chère et de plus en plus pure. Je remarque que beaucoup d’usagers de drogue qu’on connaissait auparavant, qui consommaient des opiacés ou étaient sous traitements de substitution aux opiacés (TSO) se sont mis à l’usage de cocaïne du fait d’une offre et d’un accès facile au produit.
Ce qui est important aussi, c’est de voir que c’est diffusé dans tous les âges et en particulier que l’usage se développe chez les jeunes. Par exemple dans la CJC (consultation jeunes consommateurs), on avait auparavant surtout des consultations autour des jeux vidéo du cannabis. Et là, on voit beaucoup plus de jeunes qui ont accès à la cocaïne, à la 3MMC, à kétamine.
On parle de consommation, mais quel est l’élément qui pousse les personnes à consulter ? Est-ce la consommation de cocaïne ? Ou l’association à d’autres produits ?
MB : Effectivement, la cocaïne peut être le produit problématique qui est mis en avant pour pouvoir consulter. Mais bien souvent on constate des poly-usages, voire des poly-addictions. En premier lieu, on retrouve l’alcool associé à la cocaïne. Il peut agir comme un déclencheur, un trigger qui, souvent, va donner envie aux usagers de consommer de la cocaïne, laquelle va leur donner l’impression de mieux tenir leur consommation d’alcool. Puis on a souvent aussi le tabac, le cannabis bien sûr, et parfois l’expérimentation d’autres substances : ecstasy, kétamine et parfois opiacés, benzodiazépines pour la descente.
Mais ce qui amène souvent les gens à consulter, c’est un moment de crise, quelque chose qui fait que leur usage de cocaïne, leur consommation devient problématique. Cela peut être un accident de consommation : surdose, douleur thoracique, abcès, douleur nasale, une anxiété importante, parfois de l’agressivité ou de la paranoïa. Souvent ce sont des conséquences liées au contexte de consommation : un accident sur la voie publique, une blessure, des violences, la justice.… Bien souvent c’est l’entourage ou les conjoints qui les poussent à consulter.
Quand les consommations sont excessives et quotidiennes, c’est souvent les aspects dépressifs, l’épuisement, les problèmes de sommeil, l’anxiété, des idées noires qui sont au premier plan.
Et quelle est la demande lors des consultations ?
MB : La plupart du temps c’est qu’on les aide à se sortir de la crise, à se sentir mieux. Souvent, c’est d’arrêter les consommations. Souvent, les personnes n’ont pas d’idée très précise, elles sont poussés par les événements, la famille et viennent voir ce qu’on peut proposer. On essaie alors de partir de ce qui peut paraître le plus problématique du point de vue de l’usager, et de tirer le fil pour l’amener vers toute l’offre de soins possibles.
Par exemple, pour un usager très déprimé par une consommation excessive de cocaïne, on va construire la réponse thérapeutique et le suivi autour du traitement de la dépression et de l’épuisement. L’aider à trouver un milieu sécure où se restaurer, mobiliser ses ressources, retrouver une stabilité. Les réponses sont multidimensionnelles : aussi bien médicamenteuses, que psychologiques ou sociales.
Et dans le cas où l’alcool est associé, cela amène aussi à réfléchir à la consommation d’alcool ?
MB : Oui, très peu d’usagers problématiques de cocaïne n’ont des problèmes qu’avec la cocaïne. Amener la personne à réfléchir sur sa consommation de cocaïne, amène forcément à questionner toutes les autres consommations mais aussi le contexte dans lequel ces consommations se font — dans la vie personnelle ou professionnelle — et travailler les fonctions que peuvent avoir pris les consommations dans l’économie psychique et physique de la personne (dopage, plaisir, loisir, automédication…).
Il arrive qu’on soit obligé de prescrire un arrêt de travail pour des gens qui sont dans un environnement professionnel de consommation, la restauration par exemple, et qui tiennent en consommant cocaïne, alcool alors qu’ils sont à bout de force. Cela leur permet de s’extraire un temps du contexte.
Quelle est la forme et la durée des accompagnements proposés ?
MB : En premier lieu, l’accompagnement vise à réduire les risques des consommations : informer sur les risques de surdose, permettre l’accès à du matériel de réduction des risques, informer sur les risques de transmission VHC avec le sniff, l’inhalation, de transmission VIH avec l’injection… Ensuite, la durée de l’accompagnement varie en fonction de la situation, de l’âge et des problématiques associées. Dans toutes les addictions, souvent, ce qui fait la durée de l’accompagnement, et presque son pronostic, ce sont les problématiques associées et leur sévérité. Par problématiques associées, on entend, bien sûr, les problématiques médicales associées somatiques ou psychiatriques. Mais ce sont surtout les problématiques psychosociales qui sont déterminantes. Le fait que les personnes aient des ressources, pas seulement financières, mais aussi des ressources relationnelles, familiales, professionnelles. Le fait qu’elles aient un travail ou pas, le fait d’être entouré, de vivre seul ou pas, d’avoir un logement plus ou moins stable…
Donc quand on construit un accompagnement, c’est toutes ces dimensions qu’on va essayer de prendre en compte, et l’accompagnement va durer plus ou moins longtemps en fonction des problématiques associées.
Il y a une grande différence entre, par exemple, un usager qui consulte à 40 ans parce qu’il a récemment perdu pied et un autre qui a commencé à perdre le contrôle de ses consommations beaucoup plus tôt. Je vais caricaturer mais pour le premier cela pourra être un mauvais tournant, une séparation, une perte d’emploi : ses consommations de cocaïne auparavant occasionnelles en contexte festif sont devenues quotidiennes et solitaires depuis plusieurs mois. Il est déprimé, son entourage se mobilise et le pousse à consulter pour essayer de stopper ça. Ça prendra un an, deux ans de suivi assez régulier, mais la personne qui a des ressources, parviendra à retrouver un équilibre et se rétablir.
Pour la seconde personne, qui consomme peut-être depuis l’adolescence, ce sont souvent des polyconsommations, une histoire de vie cabossée et des problématiques sociales et de personnalité marquées par la précarité et les ruptures. Quand elle consulte à 25 ou 30 ans, le pronostic ne va pas être le même et le suivi va durer parfois des années, pour l’aider à se stabiliser. Le parcours risque d’être émaillé de crises et de complications plus nombreuses. Les accompagnements sont souvent non linéaires. Ils se font sur des temps plus ou moins longs avec des équipes assez diverses pour prendre en compte aux mieux les différentes dimensions médicales, psychologiques et sociales.
Et puis même s’il n’y a pas de traitement spécifique médicamenteux pour la cocaïne, certains traitements sont utiles pour traiter les symptômes d’anxiété, de dépression ou d’idées délirantes liées aux consommations. Des temps d’hospitalisation sont parfois nécessaires, comme les séjours de rupture pour prendre de la distance par rapport au produit et à son environnement. Les groupes d’entre-aides peuvent aussi aider au rétablissement. Des approches psychothérapeutiques individuelles ou en groupe viennent compléter les réponses proposées en fonction de la situation et de la demande des usagers.
Comme pour les autres addictions, il n’existe pas vraiment de traitement standard de l’addiction à la cocaïne mais des accompagnements avec des outils divers et variés qui permettent de répondre aux spécificités de chaque usager, de s’adapter à leurs demandes et besoins en fonction des complications et des problématiques associées.