Marie Öngün-Rombaldi : « Quand on refuse l’ouverture d’une HSA, on dit aux usagers de drogue : votre santé ne compte pas »

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Article rédigé par Fédération Addiction 4 avril 2024
Marie Öngün-Rombaldi est déléguée générale de la Fédération Addiction. Depuis sa prise de fonction en 2022, la question des salles de consommation à moindre risque (ou haltes soins addictions, HSA) est au cœur de l'actualité : malgré les données scientifiques prouvant leur utilité, beaucoup de personnes s'opposent à l'ouverture de nouvelles HSA. Mauvaise compréhension de la réduction des risques, stigmatisation des consommateurs… Quels sont les causes de ces blocages ?

Après les ouvertures des HSA de Paris et Strasbourg en 2016, aucune autre n’a vu le jour. Les projets de Lille et Marseille semblent arrêtés. Pourquoi, 8 ans après le vote de la loi, est-ce si difficile d’ouvrir une HSA en France ?

Marie Öngün-Rombaldi : Je veux le dire clairement, quand on refuse l’ouverture d’une halte soins addictions, on envoie un message aux usagers de drogue : « on ne veut pas de vous chez nous, vous n’avez pas les mêmes droits que les autres, votre santé ne compte pas ». Les HSA focalisent beaucoup l’attention des médias et des élus et leur refus est devenu le symbole même de la stigmatisation que subissent les usagers de drogues, qui seraient responsables de tous les maux de la société et de toutes les nuisances dans l’espace public.

Pourtant on le sait, ouvrir une HSA, c’est non seulement réduire les surdoses, les abcès, le VIH, l’hépatite C, les passages aux urgences. C’est donc sauver des vies… mais c’est aussi améliorer la tranquillité publique dans un quartier. C’est prouvé par des recherches françaises et internationales. Mais quand on parle de consommation de drogues, on touche à quelque chose de plus profond, de l’ordre de la peur et du fantasme. On a aujourd’hui des dirigeants qui parlent de « guerre aux drogues » : dans les faits c’est de guerre aux drogués qu’il s’agit. Face à ceux qui parlent de peur, de fléau, de répression, nous souhaitons parler santé publique et droits humains. Car si la réduction des risques continue d’exister c’est qu’elle fonctionne ! Ailleurs des salles continuent d’ouvrir comme en Suisse, en Belgique, au Québec. Pourquoi pas chez nous ?

Parmi les opposants à ces projets, on trouve certains collectifs de riverains inquiets mais aussi des politiques qui prônent des méthodes d’accompagnement basés sur l’abstinence. Peut-on réconcilier ces points de vue ?

C’est normal d’être inquiet quand, partout autour de nous, on entend parler des consommateurs de drogues comme des délinquants et des criminels en puissance. Pourtant, un consommateur de drogues, cela peut être notre mère, notre frère, notre enfant, nous même… La consommation de drogues est un comportement humain qui, parfois, peut mener à des addictions et des difficultés pour les consommateurs, y compris en termes de comportements. Mais justement, les dispositifs de réduction des risques sont là pour aider à réguler ces comportements. Concrètement, les HSA s’adresse le plus souvent à des publics en grande précarité : quand quelqu’un consomme dans l’espace public, c’est parce qu’il n’a pas d’autre lieu pour le faire. Proposer un lieu dédié qui ne soit pas la rue, c’est donc bénéfique pour la santé de la personne et la tranquillité de la vie dans le quartier. Tout le monde est gagnant !

Quant à l’abstinence, elle fait partie des solutions… mais cela dépend des personnes, des parcours, des moments de vie. L’imposer ne fonctionne jamais. Pour certains, consommer de manière sécurisée est déjà un pas important, qui peut mener à d’autres : contrôler sa consommation et éventuellement, au bon moment, arrêter. La réduction des risques et le soin ne s’opposent pas, au contraire : c’est un continuum qui permet de donner une réponse à une personne en fonction de ses besoins de santé du moment.

Que faudrait-il pour que les discours sur les HSA évoluent ?

Il faut changer les représentations. Non, la personne consommatrice de drogues ce n’est pas l’autre, le danger : cela peut être nous ou notre entourage. Il faut déconstruire les clichés, s’appuyer sur les données scientifiques. Les associations, le secteur médico-social et sanitaire y travaille déjà, malgré le manque de moyens. Il faut aussi donner la parole aux usagers de drogues, les inviter dans le débat public et politique.

Mais il faut surtout que les pouvoirs publics en parlent, expliquent ce qu’est la réduction des risques et pourquoi c’est aussi du soin. Cela passe par la fin des politiques répressives qui, on le sait, ont des effets délétères pour la santé des populations.

La loi actuelle prévoit la fin de l’expérimentation des HSA au 31 décembre 2025. Que va-t-il se passer ?

Les évaluations des deux salles de consommations françaises sont positives et c’est reconnu par l’État. Une HSA n’est qu’un dispositif de santé, elle ne résout pas toute seule toutes les nuisances d’un quartier mais les données prouvent qu’elle améliore la vie des publics qui la fréquentent et la tranquillité du voisinage.

La Fédération Addiction est mobilisée avec ses adhérents pour obtenir la pérennisation des deux salles existantes et le passage du statut d’expérimentation à celui du droit commun. Dans les mois qui viennent, nous continuerons à répéter ce message auprès des responsables politiques : détruire des lieux de soins dont l’efficacité est prouvée serait un grave recul.