Quelle prise en charge pour les joueurs en difficulté ? rencontre avec Marine Tirmont du CSAPA de Douar Nevez
Marine Tirmont est psychologue clinicienne au centre de soin, d’accompagnement et de prévention en addictologie (CSAPA) de Douar Nevez depuis 8 ans. Elle fait partie d’un binôme jeux d’argent et de hasard avec une collègue assistante sociale et participe au dispositif POSRAJ (Pôle spécialisé régional sur les addictions aux jeux) financé par l’agence régionale de santé de Bretagne. Nous lui avons posé quelques questions sur l’accueil et l’accompagnement des joueurs en difficulté.
Bonjour Marine ! Pour commencer, pouvez-nous expliquer comment fonctionne le dispositif POSRAJ en Bretagne ?
Marine Tirmont : Le POSRAJ comprend plusieurs binômes à travers la Bretagne et est coordonné par deux médecins addictologues. Les binômes sont chargés de l’accompagnement des joueurs ou de personnes en situation de dépendances et de leur entourage. Ils sont également amenés à faire des opérations de sensibilisation auprès de partenaires sur la question des addictions comportementales en général et, en particulier, sur les jeux d’argent. Enfin, ils ont pour mission de faire des formations sur la thématique ou des interventions un peu plus larges comme des colloques.
Ici, dans le Morbihan, le modèle a pas mal évolué et c’est vraiment très intéressant ! Ainsi, au départ, on faisait tous les premiers entretiens et les évaluations de joueurs en difficulté en binôme. Ça a été l’occasion de valoriser toute la richesse du regard croisé avec d’un côté l’aspect social et de l’autre l’aspect psychologique.
Cela permettait d’avoir un regard pluridisciplinaire et un accompagnement un peu à la carte, c’est-à-dire qu’en fonction de l’évaluation et de la demande du patient on proposait uniquement un accompagnement social ou un accompagnement pluridisciplinaire. Parfois, il était possible d’avoir un accompagnement en binôme régulier.
Toutefois, ma collègue est partie vers de nouvelles aventures et aujourd’hui je suis à l’antenne de Vannes et ma collègue assistante sociale est, elle, basée à Lorient. Selon les besoins, elle redirige les personnes vers moi quand il y a besoin d’une psychothérapie.
Quelle est l’organisation de votre structure pour prendre en charge les joueurs en difficulté ?
En fonction de l’évaluation, de la demande et des disponibilités du professionnel (une réalité à prendre compte…), une orientation est réalisée vers un médecin, un psychologue, une assistante sociale. Il y a aussi souvent un suivi qui dure dans le temps, en parallèle, avec une infirmière.
Selon les patients, l’accompagnement psychologique se repère assez facilement alors que pour d’autres cela prend plus de temps. En tout cas, il est très rare que les patients rencontrent tout de suite un psychologue en première intention, c’est plutôt dans un second temps.
Nous rencontrons parfois des gens qui ont un dossier de surendettement ou qui sont déjà sous curatelle. Mais il n’y a pas nécessairement d’emblée une demande de suivi social ou de besoin d’une psychothérapie. Le fait d’être en binôme permet de dédramatiser et de se focaliser sur la demande de l’usager.
Lorsqu’une prise en charge avec un psychologue a lieu, le travail se fait sur le sens du comportement de la personne et sur les dynamiques internes qui freinent le changement ou maintiennent le rapport de dépendance.
Y a-t-il des spécificités dans la prise en charge des joueurs en difficulté ?
Lorsqu’une personne appelle le CSAPA, la secrétaire leur demande toujours les motifs de leur appel. Cela peut être l’alcool, le tabac, le cannabis, l’héroïne mais dès que les personnes précisent que c’est en rapport avec les jeux ou les addictions comportementales, les secrétaires les redirigent tout de suite vers le binôme jeux d’argent et de hasard.
Toutefois, dans le Morbihan, il n’y a plus de binôme au sein du même CSAPA et c’est donc moi qui les reçois en première intention. Je m’occupe de la première rencontre et de tous les suivis. Je fais une analyse de la situation et les oriente.
Quand il y a une demande de psychothérapie, je m’occupe du suivi mais quand, la demande n’émerge pas, je reste centré sur le comportement, sur la vie quotidienne… mais en général on ne reste pas là dessus, on va quand même un peu plus loin.
On le sait bien en addictologie, les choses ne sortent pas du chapeau comme ça : il y a une toile qui s’est tissée depuis longtemps. Mon travail est d’accompagner au détricotage pour permettre à la personne de retrouver un peu de liberté.
Quels sont les profils des joueurs en difficulté que vous accompagnez ?
Il y a de plus en plus de jeunes adultes. Souvent des hommes, âgés de 18 à 25 ans, déjà insérés professionnellement ou en fin d’étude et/ou en alternance. On voit également des sportifs d’un certain niveau et qui ne font plus de sport à cause du travail ou pour des raisons de santé.
En général, ce sont aussi des patients qui viennent moins longtemps. Ils sont là pour une première rencontre puis reviennent deux ou trois fois, cela dépend de comment ça s’inscrit dans le temps. J’axe alors beaucoup les premiers entretiens sur le marketing, les pubs, le système afin de leur donner des outils pour qu’ils comprennent le système. Je sais qu’ils ne vont pas forcément revenir, l’idée c’est qu’ils aient des clés pour « limiter les dégâts ».
Cette année, j’ai aussi accueilli quatre personnes qui ont été orientées par la justice pour des obligations de soins liées à une pratique nocive des jeux d’argent qui les a poussé à commettre des délits comme des violences et menaces sur personnes. Jusqu’à maintenant, je n’avais vu ça qu’avec les produits : c’est vraiment récent et cela mérite qu’on surveille l’évolution.
Au CSAPA de Vannes, vous avez mis en place une consultation dédiée à l'entourage. Comment cela se passe-t-il ?
Oui, si une personne de l’entourage appelle, et quel que soit l’objet de la dépendance, elle va être reçue en premier rendez-vous par une infirmière et une assistante sociale pour faire un état de la situation.
C’est l’occasion d’avoir un temps d’écoute et d’échange, de fournir des informations sur l’addictologie et sur les mécanismes de fonctionnement d’une addiction. L’entourage a vraiment sa place dans le CSAPA !
En revanche, les professionnels qui accueille l’entourage ne sont pas ceux qui accompagne la personne dépendante. De la même manière qu’il n’y a pas de rencontre au CSAPA entre la personne concernée et l’entourage.