« Pour accompagner les chemsexeurs, il faut des moyens pour innover, coopérer, et agir au plus près des personnes »
Le projet ARPA-Chemsex vient de s’achever : il s’agissait du seul projet national sur le chemsex. Pourquoi est-ce encore compliqué d’aborder ce sujet ?
Le chemsex concerne les HSH (hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes) et c’est une pratique à laquelle les acteurs de terrain sont confrontés depuis une dizaine d’années. Des structures comme le CSAPA La Villa Floréal à Aix-en-Provence ou le CEID-Addictions à Bordeaux font depuis longtemps remonter les enjeux.
Avec la crise du Covid en 2020 (fermeture des lieux festifs, confinements, éloignement des soins…) on a constaté un essor de la pratique et des risques qui y sont associés, que ce soit en termes de sexualité, de consommation de substances ou de santé mentale. Construire des réponses qui mobilisent ces différents champs (sexologie, addictologie, santé mentale…) est parfois compliqué mais les dynamiques de terrain nous ont permis d’avancer.

Quelle est la genèse du projet ARPA-Chemsex ?
Avec AIDES, on a voulu imaginer une réponse qui soit plus globale. En 2021, avec le soutien du Fonds de lutte contre les addictions, nous avons lancé ARPA-Chemsex, pour Accompagnement en réseau pluridisciplinaire amélioré. L’idée était de construire une offre d’accompagnement qui soit à la fois pluridisciplinaire et territorialisée, pensée à partir des besoins réels des chemsexeurs et des professionnels qui les accompagnent. Nous avons défini trois objectifs :
- modéliser un parcours de prise en charge spécifique ;
- outiller et former les professionnels, en addictologie, santé communautaire ou premier recours ;
- proposer une intervention brève et précoce pour réduire le faible recours aux structures par les chemsexeurs isolés
Pour cela, nous avons mis en place des binômes associant une structure d’addictologie et un acteur de santé communautaire à Aix-Marseille, Bordeaux, Lyon, Montpellier, Paris. Ce maillage local permettait d’associer santé sexuelle, réduction des risques liés aux drogues et orientation vers les soins et autosupport, tout en laissant aux équipes une grande marge d’action.
Quelles sont les particularités de ce projet ? Et quels résultats en tirez-vous ?
Ce qui a vraiment fait la force du projet, c’est qu’il reposait sur des dynamiques locales fortes et sur la coconstruction avec les chemsexeurs eux-mêmes. Chaque site a développé ses propres actions en fonction des besoins identifiés dans leurs territoires. Ça a donné des choses très diverses : groupes d’autosupport, ateliers d’écriture, de yoga, test d’auto-évaluation, interventions en milieux festifs ou queer, vidéos de sensibilisation, « cartes à taper », boîtes de réduction des risques pour les médecins généralistes, etc.
On a aussi conçu des outils communs à l’échelle nationale, notamment un guide (Aller vers les chemsexeurs) coécrit avec les sites, ou encore un séminaire d’échange de pratiques. C’est le seul projet sur le chemsex de cette ampleur en France à ce jour.
L’évaluation externe, menée par Planète Publique, est très claire : les objectifs ont été atteints. Le projet a renforcé les dynamiques collaboratives et la complémentarité entre structures. Il a aussi permis une montée en compétences des équipes, avec une vraie culture commune autour de l’accompagnement des chemsexeurs.
Ce qui a été particulièrement salué, c’est la capacité d’innovation permise par la souplesse du projet. Et la reconnaissance est venue jusque dans l’hémicycle : le ministre de la Santé a cité ARPA-Chemsex en exemple à l’Assemblée nationale en avril dernier, parlant d’« expérimentation très prometteuse », et valorisant notre approche transversale et populationnelle.
Et maintenant ? Quelle suite est envisagée ?
Le projet ARPA-Chemsex a prouvé qu’en donnant des marges de manœuvre aux équipes locales, elles savaient construire des réponses efficaces et adaptées. Mais les besoins sont encore là, et la pratique du chemsex n’a pas reculé.
L’évaluation souligne que les résultats observés sont encore jeunes : il faut poursuivre l’accompagnement des dynamiques locales, continuer à soutenir les professionnels, renforcer les liens avec les acteurs du territoire — médecins généralistes, santé mentale, santé communautaire, addictologie.
Il y a aussi des pistes à approfondir : la prise en charge précoce, la RDR 2.0, comment aborder la question du consentement, ou encore les chemsexeurs isolés des soins.
C’est pour cela que nous avons déposé un nouveau projet auprès du Fonds de lutte contre les addictions, avec l’ensemble des sites pilotes. Tous sont volontaires pour continuer. Nous voulons aussi renforcer nos liens avec les agences régionales de santé et les réseaux locaux.
Comme l’a dit le ministre : « son déploiement et sa promotion pourraient faire partie de la politique nationale de la nouvelle feuille de route de la santé sexuelle ». On est prêts à y contribuer.