« Être IPA, c’est redonner du sens à sa pratique »
Christophe Mérono, infirmier en pratique avancée au sein du CSAPA Cicat en Centre-Val de Loire, revient ici sur son parcours, sa formation et les apports concrets de ce nouveau métier au service des usagers.
Fédération Addiction : Pour commencer, peux-tu nous parler de ton parcours ?
Christophe Merono : Depuis juillet 2025, je suis infirmier en pratique avancée (IPA), mention psychiatrie et santé mentale. Avant cela, j’ai exercé sept ans comme infirmier diplômé d’État avec un parcours déjà centré sur la santé mentale et l’addictologie : d’abord en hôpital psychiatrique, puis six ans dans un centre de détention ce qui m’a permis de découvrir l’addictologie. J’ai ensuite travaillé dans un centre de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie (CSAPA) en milieu rural.
Qu’est-ce qui t’a motivé à devenir IPA ?
Après quinze ans comme infirmier, je ressentais des limites dans ma pratique. J’avais envie d’aller plus loin dans l’accompagnement des patients, notamment en addictologie, un domaine qui me passionne. Le rôle d’IPA me permet de développer des compétences cliniques, d’avoir plus d’autonomie et de contribuer à améliorer les parcours de soins dans un territoire où l’offre est restreinte. C’était aussi l’occasion de participer à l’évolution de notre profession.
Comment s’est déroulée ta formation ?
J’ai suivi le master à l’université de Tours entre 2023 et 2025. La première année est un tronc commun très dense, avec une semaine de cours en présentiel par mois et beaucoup de travail à distance. Nous avions aussi deux stages obligatoires dans des structures différentes de nos lieux d’exercice habituels. La deuxième année est plus spécialisée et centrée sur la mention choisie, avec un stage long de quatre mois. J’ai eu la chance de l’effectuer dans un CSAPA à Orléans, aux côtés d’une IPA déjà en poste, ce qui a été très formateur.
Qu’attendais-tu de cette formation ?
J’espérais acquérir des outils théoriques et pratiques pour affiner mes compétences médicales, notamment en sémiologie, et développer une posture de clinicien. Je voulais aussi gagner en légitimité auprès des autres professionnels de santé. En addictologie, il arrive qu’un infirmier connaisse mieux le patient que le médecin — tout simplement car on le voit plus régulièrement ! — cependant certaines démarches sont réservées au médecin, comme l’orientation en cure. Aujourd’hui, en tant qu’IPA j’ai élargi mon champ d’action et peux orienter mes patients en toute légitimité… et ça change tout.
Et tes attentes ont-elles été comblées ?
Oui, énormément ! La formation m’a donné des connaissances solides et une vraie légitimité, reconnue aussi bien par les professionnels que par les patients. Les stages, très concrets, m’ont permis d’ancrer les apprentissages et de me projeter dans cette nouvelle fonction.
À ton retour dans ton équipe, est-ce que ton rôle a bien été compris par les autres professionnels et par les patients ?
La compréhension est progressive car le métier d’IPA reste relativement nouveau et certaines zones d’ombre persistent. Au sein de mon équipe ça s’est plutôt bien passée car ce projet de formation a été construit avec la direction du CSAPA. J’avais aussi parlé de ma formation avec mes collègues. Pendant ces deux années, je suis resté en lien avec eux et, à mon retour, j’ai pris le temps d’expliquer mon rôle.
J’ai aussi créé une affiche pour présenter le métier d’IPA en addictologie aux patients. Ça aide à clarifier les missions même si, bien sûr, il reste un peu de pédagogie à faire pour casser certaines idées reçues : un IPA n’est pas un médecin, il n’est pas là pour « faire des ordonnances à la place ».
Concernant les partenaires, avant de débuter mes suivis, j’ai aussi pris le temps de rencontrer toutes les pharmacies et laboratoires avec lesquels je travaille pour me présenter, expliquer mes missions et préciser les prescriptions que je peux désormais réaliser. J’ai également échangé avec les professionnels de l’hôpital de proximité, notamment le service des urgences et la médecine polyvalente. En montrant par la pratique et en m’inscrivant dans une dynamique de complémentarité, j’essaie progressivement d’être identifié et reconnu.
Tes collègues et les usagers te sollicitent-ils différemment depuis que tu es IPA ?
Oui. Les éducateurs ou les infirmiers me demandent davantage des avis cliniques, et les médecins apprécient de pouvoir déléguer certaines missions. Cela fluidifie le parcours des patients et suscite aussi des réflexions collectives sur l’évolution des rôles dans l’équipe.
Concernant les usagers, par exemple récemment, un jeune patient en grande détresse m’a sollicité. Nous avons construit ensemble un projet de soins sur le long terme : passage aux urgences psychiatriques, hospitalisation, demande de cure, examens complémentaires, que j’ai pu prescrire, puis un projet d’intégration dans un dispositif EPIDE. En tant qu’infirmier diplômé d’État, je n’aurais pas eu la même légitimité pour orienter ce patient ni la possibilité de prescrire certains bilans. Là, j’ai pu faciliter son accès aux soins et éviter des délais d’attente trop longs. C’est ce genre de situation qui donne vraiment du sens à ce nouveau métier.
Quels conseils donnerais-tu à des IDE qui envisagent de devenir IPA ?
Je leur dirais d’oser tout en étant conscients de l’engagement que ça représente. La formation est exigeante, il faut une vraie motivation. Mais c’est une expérience extrêmement enrichissante, qui redonne du sens à la pratique et ouvre de nouvelles perspectives. Il est aussi important de bien réfléchir à son projet professionnel en amont pour que la formation s’inscrive dans une logique de terrain et que l’IPA trouve sa place une fois diplômé.