« Les métiers de l’addictologie sont riches et profondément attractifs »
Fédération Addiction : L’AJPJA est l’Association des jeunes psychiatres et des jeunes addictologues, mais qu’entend-ton par « jeunes » ?
Amandine Scocard : Le terme « jeune », au sein de l’AJPJA, fait référence aux professionnels en début de parcours : il s’agit des assistants, chefs de clinique ou praticiens ayant moins de dix ans d’exercice après l’obtention de leur diplôme. Plus précisément, il s’agit de dix ans après le diplôme d’études spécialisées pour les psychiatres, et dix ans après la formation spécialisée transversale ou la capacité d’addictologie pour les addictologues non psychiatres. L’objectif de l’association est de fédérer ces jeunes praticiens, de favoriser les échanges, l’accès à la formation et de porter leur voix dans les débats professionnels, institutionnels et de société.
L’AJPJA est une association qui fédère à la fois des jeunes praticiens en addictologie et en psychiatrie : pourquoi le choix d’associer ces deux spécialités au sein de l’association ? Qu’est-ce que cela apporte aux membres de l’association ?
L’AJPJA est née d’une volonté commune de créer un espace d’échange entre jeunes professionnels confrontés à des problématiques souvent proches. Il nous semblait essentiel d’associer psychiatrie et addictologie, deux disciplines étroitement liées à plusieurs niveaux.
Les troubles addictifs sont en effet multifactoriels avec une prévalence importante de comorbidités psychiatriques. Dans les classifications nosographiques actuelles, ils sont d’ailleurs regroupés parmi les troubles mentaux. Pourtant, dans la pratique, la prise en charge des pathologies dites « duelles » reste souvent fragmentée, clivée entre les champs de la psychiatrie et de l’addictologie. L’association cherche justement à lever ces clivages, à favoriser une approche intégrée, en créant des passerelles entre les disciplines et entre les pratiques.
Pour autant, l’addictologie ne se réduit pas à la psychiatrie. Elle touche aussi d’autres spécialités — médecine générale, hépatologie, pneumologie, etc. — et c’est toute cette transversalité que nous cherchons à valoriser. L’AJPJA ne réunit donc pas uniquement des jeunes psychiatres addictologues mais bien des jeunes psychiatres et des jeunes addictologues, quelle que soit leur spécialité d’origine.
Concrètement, cela se traduit pour les membres par un accès à des formations pluridisciplinaires, une dynamique de partage d’expériences, et un enrichissement mutuel des pratiques. Cela permet aussi à chacun de mieux s’orienter dans son parcours professionnel, tout en participant à un réseau qui valorise les complémentarités et la diversité des approches dans le champ de la santé mentale.
On décrit souvent les métiers de l’addictologie comme peu attractifs ? Que faudrait-il faire pour améliorer leur attractivité ?
Les métiers de l’addictologie sont profondément attractifs ! C’est une discipline extrêmement riche, tant par la diversité des publics rencontrés — tous âges, tous milieux sociaux, toutes histoires — que par la variété des pratiques possibles : en ambulatoire, en hospitalisation, à domicile, en individuel ou en équipe, avec des approches médicales, psychothérapeutiques, sociales. On ne s’y ennuie jamais.
L’addictologie permet aussi une prise en charge globale, qui articule les dimensions psychiques, somatiques et sociales. Elle est au croisement de nombreuses disciplines, et s’inscrit pleinement dans les enjeux de santé mentale et de société. C’est aussi une spécialité où l’on voit des personnes aller mieux, parfois après avoir touché le fond, et reconstruire leur vie. Cela donne du sens au travail, et c’est extrêmement gratifiant.
Mais malgré cette richesse, la discipline souffre encore d’un manque d’attractivité, particulièrement chez les jeunes médecins. Plusieurs freins bien identifiés y contribuent :
- Une formation initiale insuffisante, souvent réduite à quelques heures dans les maquettes d’internat et des stages peu accessibles surtout en deuxième cycle. Or, on ne peut pas s’engager dans une spécialité qu’on n’a pas rencontrée. Il est donc indispensable d’intégrer des stages en addictologie dans le tronc commun des études médicales, en particulier pour les futurs psychiatres et médecins généralistes.
- Une stigmatisation persistante des troubles addictifs qui touche aussi les soignants. Elle freine l’engagement dans ce champ, alors même que les besoins en soins sont immenses.
- Des débouchés hospitaliers et universitaires encore trop restreints, souvent réservés aux psychiatres, alors que l’addictologie est une discipline transversale. Il faut ouvrir ces perspectives à d’autres spécialités, et reconnaître la diversité des parcours professionnels dans ce domaine.
- Des conditions d’exercice parfois difficiles, avec des moyens humains et financiers insuffisants, ce qui peut dissuader les jeunes praticiens de s’engager. Pour rendre ces métiers plus attractifs, il est indispensable d’améliorer les conditions de travail, de revaloriser les salaires, et de soutenir les équipes.
Enfin, il faut aussi valoriser ce que l’addictologie apporte, au-delà des clichés : son ancrage dans le soin relationnel, la richesse humaine des accompagnements, sa capacité à faire du lien entre les disciplines et les institutions, son ouverture à des approches innovantes, y compris au savoir expérientiel. C’est en montrant cette réalité-là, et pas seulement les difficultés, que l’on donnera envie aux nouvelles générations de s’y engager.
Quels sont pour vous les problématiques et enjeux actuels des métiers de l’addictologie et de la psychiatrie en France ? Comment les jeunes praticiens s’en saisissent-il ?
Les enjeux actuels de la psychiatrie et de l’addictologie en France sont nombreux et largement partagés entre ces deux disciplines. Difficultés d’accès aux soins, inégalités territoriales, manque de moyens, complexité croissante des prises en charge (notamment en lien avec les comorbidités) sans oublier la stigmatisation persistante : ces défis concernent autant les patients que les professionnels.
C’est d’ailleurs l’un des fondements de l’AJPJA : rassembler jeunes psychiatres et jeunes addictologues autour de problématiques communes pour favoriser une approche plus intégrée, collaborative et adaptée aux réalités du terrain.
Face à ces enjeux, les jeunes praticiens de l’association se mobilisent activement. Le groupe de travail addictologie, par exemple, organise des journées de formation comme les « journées des jeunes addictologues », facilite l’accès à des congrès nationaux et internationaux, soutient la formation continue et encourage les échanges entre spécialités.
Au-delà des événements, l’objectif est de créer des liens durables entre jeunes professionnels motivés, de décloisonner les disciplines, et de faire émerger des pratiques plus transversales, plus accessibles, et plus proches des besoins réels des patients.
L’AJPJA fête ses 10 ans cette année, et ses journées nationales qui ont eu lieu les 9 et 10 octobre avaient pour thème « (R)évolutions ». Pourquoi le choix de ce thème ? Quelles évolutions et révolutions souhaitez-vous pour les métiers que vous représentez ?
Le thème « (R)évolutions » s’est imposé naturellement pour ces 10 ans de l’AJPJA. Il reflète à la fois les évolutions profondes que traversent nos métiers — nouvelles pratiques, outils numériques, place croissante du patient dans le soin — mais aussi la nécessité d’une véritable révolution culturelle. Une révolution dans la manière dont on pense, organise et valorise la santé mentale et l’addictologie.
Nous aspirons à des métiers mieux reconnus, mieux formés, plus attractifs mais aussi à des pratiques plus humaines, plus coordonnées, et réellement adaptées aux besoins du terrain. Cela implique, par exemple :
- plus de moyens pour la prévention, qui reste aujourd’hui encore sous-investie alors qu’elle est essentielle ;
- un discours politique plus clair, plus cohérent, qui soutienne réellement les enjeux de santé mentale et de réduction des risques, sans ambivalence ;
- une meilleure information du public, pour réduire la stigmatisation et encourager l’accès au soin ;
- une vraie place donnée au savoir expérientiel, y compris dans les parcours de soin et les formations ;
- un renforcement des enseignements en santé mentale et en addictologie, dès les premières années d’études en santé, mais aussi dans d’autres disciplines comme le droit ou le travail social ;
- des moyens humains suffisants pour réduire les délais d’attente, particulièrement problématiques dans les troubles addictifs où la motivation au changement est précieuse, mais souvent fluctuante ;
- et enfin, une meilleure coordination entre les secteurs sanitaire, médico-social et associatif, pour offrir aux patients des parcours fluides, lisibles et efficaces.
Célébrer les 10 ans de l’AJPJA, c’est à la fois faire le point sur le chemin parcouru et affirmer notre volonté de continuer à faire bouger les lignes. Porter la voix des jeunes praticiens, c’est aussi porter celle d’une génération engagée, lucide, et prête à construire autrement l’avenir de nos disciplines.