Développer les compétences psychosociales, oui… mais avec des moyens et de la coopération

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Article rédigé par Fédération Addiction 8 septembre 2025
Alexis Grandjean, responsable du pôle Évaluation, innovation et recherche à la Fédération Addiction, revient sur la mise en œuvre de la stratégie interministérielle pour le développement des compétences psychosociales. Entre ambitions fortes, financements incertains et nécessité de mieux articuler les acteurs, il alerte sur les conditions indispensables pour réussir ce déploiement à grande échelle.

En 2022, le gouvernement a publié une stratégie interministérielle pour le déploiement des compétences psycho-sociales (CPS), avec des objectifs ambitieux en termes de population cible. Cela semble donc un contexte favorable au renforcement des actions de prévention intégrant le développement des CPS…

Alexis Grandjean : En effet, cette stratégie est très ambitieuse et est un signal fort pour réaffirmer l’importance du développement des compétences psychosociales. Pendant plusieurs années, il fallait encore convaincre les différents interlocuteurs de l’importance de ce travail, ce qui n’est plus le cas. Aujourd’hui, huit ministères se sont dotés d’une feuille de route pour le développement des CPS ce qui est un marqueur important de la volonté des pouvoirs publics de prendre en compte cette thématique majeure.

Cependant, cette stratégie n’est pas associée à une enveloppe budgétaire spécifique. Pour les acteurs de terrain, cela veut dire que sa mise en œuvre repose sur l’aléa des opportunités de financement… Or on sait qu’en prévention, une stratégie ambitieuse et efficace nécessite de pouvoir s’appuyer sur des professionnels formés et compétents, qui puissent avoir de la visibilité sur le long terme. Et cela nécessite des moyens. C’est notamment pour cela que la Fédération Addiction rappelle sans cesse l’importance de financer de manière pérenne la mission prévention des CSAPA (ce qui n’est aujourd’hui pas le cas) et la nécessité de doter de manière conséquente les consultations jeunes consommateurs.

Enfin nous restons également vigilant à ce que le travail des CPS soit pensé dans le cadre d’une stratégie globale de prévention et non comme le simple déroulement d’interventions. Il faut être en cohérence avec les pratiques du soin, de la réduction des risques et de l’intervention précoce.

Concrètement, sur les territoires, où en est-on ?

Aujourd’hui, nous voyons une très forte mobilisation de tous les acteurs, qu’ils soient institutionnels ou de terrain pour prendre part à cette dynamique, ce qui est très positif ! Tout le monde est convaincu de l’importance de ce travail avec la volonté de s’y impliquer. Nous avons également l’impression que nous entrons dans une nouvelle phase de la dynamique. Alors que les premières années, l’enjeux était plutôt une appropriation des concepts, méthodes et outils permettant de travailler les CPS efficacement, nous passons maintenant dans une nouvelle phase d’intensification du déploiement afin de toucher beaucoup plus de monde.

Quels freins percevez-vous vis-à-vis de cette nouvelle étape ?

Sur les territoires, je vois deux enjeux majeurs.

Le premier consiste à trouver un équilibre entre les programmes probants, « clé en main », et d’autres interventions. Ce que l’on voit sur certains territoires, c’est que la stratégie CPS se base uniquement sur le financement de programmes comme Unplugged, Good Behavior Game (GBG), le Programme de soutien aux familles et à la parentalité (PSFP) ou Primavera. Il ne s’agit pas de les remettre en question, ils ont été évalués et s’appuyer sur des données probantes est capital. Mais la définition de ce qui est « probant » ignore parfois les savoirs expérientiels des professionnels et des publics. Or, il faut qu’on puisse prendre en compte les spécificités de certaines populations pour lesquelles il n’existe pas de programmes « clé en main ». Ces publics sont souvent les plus vulnérables d’ailleurs : jeunes sortis du système scolaire, protection de l’enfance, personnes en situation de handicap. Et puis focaliser les stratégies quasi exclusivement sur des programmes déjà probants met à mal la capacité des professionnels à poursuivre ce qu’ils font depuis des années : créer et innover (ce qui n’empêchent pas de s’appuyer sur des données probantes !) pour élaborer de nouvelles interventions qui répondent aux évolutions des usages et aux besoins des jeunes.

Le second enjeu qui remonte régulièrement est la nécessité d’une meilleure articulation des différents acteurs impliqués dans la démarche. Beaucoup de gens sont impliqués : acteurs spécialisés en addictologie, acteurs de la promotion de la santé, dispositifs jeunesse… Le contexte économique contraint et le mode de financement de la prévention (uniquement sur projet) ne permet pas forcément une articulation et coopération optimale. Elle favorise même une certaine mise en concurrence des acteurs. Étant donné les ambitions de la stratégie interministérielle, il y a pourtant de place pour tout le monde ! Mais cela nécessite de mieux coopérer en prenant en compte les compétences et des spécificités de chacun tout en s’appuyant sur les ressources de proximité.