La tranquillité publique, un enjeu pour les maires de communes rurales

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Article rédigé par Fédération Addiction 14 novembre 2025
Lorsqu’on évoque les questions de tranquillité publique, on pense souvent aux milieux urbains. Pourtant, il s’agit aussi d’une problématique des zones rurales, avec leurs spécificités. Nous avons rencontré Gilles Noël, maire de Varzy (Nièvre) et président de la commission santé de l’Association des maires ruraux de France (AMRF).

Fédération Addiction : On parle souvent de tranquillité urbaine, comme si la tranquillité publique ne concernait que les villes. En quoi ce sujet est-il également essentiel pour les territoires ruraux que vous représentez ?

Gilles Noël : Dans nos villages, on a vu arriver ces dernières années des nouveaux habitants : une population qui vient de grandes métropoles et qui renouvelle la population rurale, notamment depuis le COVID. Ce mouvement est nécessaire pour nous… mais il n’est pas suffisant pour décoller en matière de développement des services publics.

Ces personnes nous demandent de faire attention à la tranquillité publique car elles ont souvent justement connu des problématiques de non-tranquillité urbaine. Les sujets d’attention sont la vitesse routière, ce que nous appelons le narcotrafic (mais dans une version édulcorée) et les incivilités. Le sujet de la tranquillité est donc prégnant chez nous mais plutôt dans le sens des incivilités que dans celui de la sécurité, même si nous rencontrons parfois des soucis.

Ainsi, je dirais surtout que notre enjeu n’est pas la tranquillité à proprement parler, mais le vivre-ensemble.

Fédération Addiction : Quelles problématiques concrètes rencontrez-vous ? Pouvons-nous aborder particulièrement le sujet des addictions et de ce qu’elles peuvent, en ruralité, influer sur la tranquillité publique ?

Gilles Noël : Je dirais qu’on a les mêmes problématiques que les villes mais à des niveaux moindres. Même si on pourrait compter sur les doigts d’une main les personnes qui nuisent à la tranquillité publique — ou pas d’ailleurs, mais qui se mettent en danger — on se doit de garantir le vivre-ensemble.

Dans nos communes, nous n’avons pas de police municipale ni de personnel qui intervienne sur ces questions-là, hormis la gendarmerie. Ce sont donc nous, les élus, qui devons prendre les situations à bras-le-corps.

On essaie souvent de régler ces cas de manière individuelle, en s’appuyant sur la solidarité de voisinage, mais parfois on se heurte à la limite de ce volontarisme.
On se heurte aussi au fonctionnement des services qui sont parfois éloignés et qui fonctionnent en tuyaux d’orgue, sans toujours de transversalité.

Par exemple, on aide quelqu’un à se faire hospitaliser, voire on le contraint car on a des mesures pour le faire. Cette personne va être prise en charge et, pourtant, on va la retrouver chez elle sans que nous soyons mis au courant. Résultat : si on ne sait pas, on ne peut pas se mobiliser et la situation ne change pas : on revient à la case départ. Chez nous, c’est surtout pour l’alcool que ce cas de figure se présente.

Bref, tout cela prend du temps et, au final, on se retrouve parfois avec une démobilisation générale : « bon, tout ça ne sert à rien, on laisse tomber » — et ça, c’est pas bon.

Fédération Addiction : Quels sont les moyens, les leviers, à l’échelle de vos communes, pour amener ce vivre-ensemble dont vous parlez ?

Gilles Noël : Nous, élus, on utilise une arme : les associations, leurs bénévoles et leur capacité à organiser des événements simples mais où vous avez 150 personnes dans la salle. Ça peut aussi être des ateliers, des activités. Nous avons la capacité de mobiliser nos espaces publics et d’inciter au vivre-ensemble via nos salles, nos stades, pour faire en sorte que les gens puissent se retrouver avec le monde associatif et ses bénévoles.

Et ce sont les seules armes que nous ayons, si je puis dire. Avec notre volonté d’être un facilitateur pour mettre les uns et les autres en relation.

Mais tout cela se fait sans contrainte, hors « ordonnance », j’allais dire — sans pistolet sur la tempe. C’est du volontarisme, mais il n’y a pas d’obligation de soins ni d’obligation de présence. C’est aussi ça, la limite.

Fédération Addiction : En tant que président de la commission santé de l’AMRF, pourriez-vous me parler un peu plus précisément de la prise en charge des usagers ? Le problème de l’alcool a déjà été soulevé, mais rencontrez-vous d’autres sujets ?

Gilles Noël :  On est de plus en plus concernés par les problèmes d’addictions multiples.

Je vais commencer par la prévention : on essaie de traiter ce problème via les écoles, pour lesquelles nous avons compétence. Et puis, on fait de la prévention via les associations qui, dans les espaces socioculturels ou les maisons familiales et rurales, peuvent parler de ces addictions, organiser des animations autour de ces problématiques, de ces réalités. On essaie aussi de s’associer à des campagnes nationales.

L’addiction au jeu est également une réalité pour nous — que l’on soit à moins de 100 kilomètres d’un casino ou simplement dans nos bistrots, qui sont pourtant aussi des vecteurs de lien social.

Et on a aussi vu la cocaïne arriver dans nos villages. Le reste, c’est plus épisodique.

Pour les personnes très problématiques et/ou en situation très précaire, on est aussi tentés de les renvoyer vers la ville, parce qu’on est démunis face à ça et face aux solutions.
En territoire urbain, il y a des éducateurs, la gendarmerie, les logements sociaux…

Fédération Addiction : Sans faire une liste à la Prévert, qu’est-ce qui pourrait vous aider à agir plus efficacement sur ces enjeux ?

Gilles Noël : Beaucoup plus de prévention, beaucoup plus d’actions — sans même avoir besoin que le mot « addiction » apparaisse, mais sur les usages : le numérique, le tabac, l’alcool, tout ça. On a besoin de ça.

Nous avons aussi besoin, peut-être, de formation, pour pouvoir, en tant qu’élus, repérer les tendances ou les postures qui pourraient nous alerter sur un problème.
Et puis, un accès aux services plus direct, plus rapide, et plus transversal — parce qu’il y a aussi les sujets de la pauvreté, de la famille, des enfants, souvent liés.

Je vois bien que c’est compliqué pour tout le monde. On a besoin d’armes, mais pas d’armes au sens de fusils : on a besoin de collectif là-dessus.

Fédération Addiction : Ce qui est frappant dans notre échange, c’est qu’on traite beaucoup des questions autour de l’entourage à la Fédération. Et dans vos communes, c’est le collectif et le vivre-ensemble qui priment.

Gilles Noël : Oui, pour nous, c’est la solidarité, ce qu’on appelle la solidarité de voisinage.
Parce que la famille, parfois, est totalement démunie, et on prend le relais.
En tant que maire, je fais le lien, je facilite, avec les limites qui sont les nôtres, mais c’est notre raison d’être.

Bon, il faut avouer qu’être facilitant, c’est pas très facile, comme dirait l’autre. Mes collègues et moi, on est aussi souvent démunis.

Photo d’illustration : CVB — Travail personnel, CC BY-SA 4.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=83337589