Reconnecter la formation au terrain et renforcer l’attractivité : les défis de la formation en travail social
Fédération Addiction : Quelles sont les évolutions de la formation des travailleurs sociaux au cours des dernières années ?
Bertrand Coppin : Il y a eu des évolutions importantes dans le dispositif de formation et des évolutions importantes aussi concernant les publics qui entrent en formation. On est passé d’une approche par la qualification à une approche par les compétences et ce n’est pas neutre. La qualification préparait les gens à un métier. Désormais on essaie de les accompagner dans l’acquisition de compétences, mais je trouve que cela découpe un peu la formation… et je ne pense pas qu’on ait gagné en qualité de formation.
Par ailleurs il y a quelques années, existait pour la formation des travailleurs sociaux (notamment les éducateurs spécialisés en dernière année) une unité de spécialisation et je trouvais ça extrêmement intéressant. Les centres de formations pouvaient allier cette unité de spécialisation aux stages de dernière année et à l’écriture du mémoire. Cela leur donnait une formation généraliste avec quand même une spécialisation au bout qui était intéressante dans la perspective d’intégrer une équipe. Cela avait beaucoup de sens.
Au-delà du problème de la baisse d’attractivité qui représente une série de conséquences en cascades, le profil des étudiants est impacté par des évolutions. Il y a encore quelques années, on accueillait des publics avec une petite expérience dans le travail social. Ils avaient fait un pré-stage, des colonies de vacances, des centres aérés… Pas de grosses expériences mais ils avaient quand même une connaissance des publics. Et donc quand ils arrivaient en formation, beaucoup avaient, peu ou prou, un projet professionnel. Aujourd’hui avec Parcoursup, ce n’est plus le cas. Les étudiants émettent des vœux… alors ça n’empêche pas que certains ont un projet professionnel mais beaucoup n’en ont pas. Ils émettent des vœux et parfois le choix d’une formation sociale correspond à un choix de fin de liste… presque par défaut. La motivation, les attentes, les représentations ne sont plus les mêmes.
L’autre effet constaté, réside dans le taux d’abandon assez important et qui souvent a lieu aux environs de la fin de la première semaine du premier stage. Dans le choix de leur stage, ils tentent de limiter les risques en allant sur des stages très généralistes. On constate qu’environ 20% des étudiants arrêtent leur formation prématurément ce qui a une influence sur la dynamique des groupes et sur le rapport pédagogique des formateurs qui se posent beaucoup de questions sur le sens de leur travail d’accompagnement
Est-ce qu'il y a quand même des évolutions positives avec la suppression du concours d’entrée et l’accessibilité via Parcoursup ?
Difficile de répondre car l’arrivée de Parcours a croisé un autre phénomène auquel nous n’étions pas habitués du tout : la baisse d’attractivité.
C’est arrivé juste après le Covid : j’ai eu un espoir à ce moment post-Covid en me disant « Le Covid a fait prendre conscience à plein de gens que le travail social, l’aide à domicile, etc., c’est indispensable » : par exemple, on a vu des salariés quitter leur emploi dans une banque, dans une société commerciale… pour choisir des métiers avec un autre sens. J’ai pensé à ce moment-là que les métiers de l’engagement, de l’humain, allaient avoir le vent en poupe dans les choix professionnels des jeunes et des reconversions. Mais en réalité on a assisté à une baisse significative d’attractivité pour ces métiers et formations qui, pourtant, ont du sens. Évidemment plusieurs facteurs expliquent cette situation.
Qu'avez-vous mis en place pour favoriser l'attractivité ?
Depuis 2 ans, l’IRTS des Hauts-de-France a créé un service communication : on est passé d’une situation d’une collègue qui gérait le site Internet à mi-temps à un groupe de trois personnes avec des compétences en stratégie, création, réseaux sociaux… un concepteur qui crée des flyers, des affiches et autres. Ensuite nous avons créé des postes d’assistant sourcing : nous avons donc un collègue à mi-temps dont le travail est d’aller vers les missions locales, les lycées, les agences France Travail, les prescripteurs pour présenter les formations, l’accès aux formations, les financements des formations, etc. Et nous investissons près de 35 000 € par an pour participer à tous les salons d’orientation et de métiers de la région.
Autre facteur d’attractivité, nous avons développé le numérique dans la formation et on le fait savoir : le numérique, les immersions virtuelles avec des lunettes connectées, etc. c’est-à-dire une certaine forme d’innovation pédagogique. Et puis évidemment nous avons repensé les portes ouvertes afin de donner à voir les espaces, les formations et les débouchés possibles. Pour cela on travaille, avec l’équipe pédagogique et les étudiants sur des messages positifs à présenter aux jeunes et aux familles.
Nous avons également, tous les ans au mois de mars, l’organisation d’un job dating : nous invitons des employeurs qui veulent recruter des jeunes et les étudiants de dernière année et on les fait se rencontrer. C’est très intéressant parce que nos étudiants, 2 ou 3 mois avant le diplôme, ont déjà un boulot sous réserve d’obtention du diplôme et les employeurs ont déjà quelqu’un qui va arriver à la rentrée. L’employabilité est un facteur d’attractivité à diffuser.
Au sein de l'IRTS, quelles sont vos marges d'autonomie pour proposer une formation qui réponde aux besoins de terrain que vous pouvez identifier ?
On a un degré d’autonomie qui est quand même plutôt intéressant : il existe un cadre à respecter (un référentiel de formation et un référentiel de certification) mais aussi des marges de manœuvre. Il y a des épreuves bien précises sont des points de passage obligés et notre rôle est de préparer les étudiants à ces épreuves. Mais lors de ces épreuves, les savoirs académiques ne sont pas vraiment fléchés donc il existe une marge de manœuvre assez intéressante, beaucoup plus qu’avant d’ailleurs. Cependant cela reste influencé par le fait que les professionnels ont des attentes. Par exemple un directeur de maison d’enfants va nous interpeller : « Mais les éducateurs, tu ne leur apprends plus ce que c’est que le développement de l’enfant de 2 à 4 ans et de 4 à 6 ans donc on a des éducs qui ne savent pas proposer des jeux adaptés aux enfants. ». Et les exemples sont multiples car nous sommes souvent en relation avec les professionnels, ce qui est une bonne chose.
Si je prends la question des conduites addictives et les pratiques de réduction des risques, nous pouvons y consacrer trois heures comme y consacrer une semaine toute entière. C’est une affaire d’équilibre entre les différents champs.
Autre exemple de marge de manœuvre : actuellement à l’IRTS Hauts de France, nous opérons un changement de paradigme en faisant monter très fort en pourcentage les savoirs expérientiels dans la formation car rien ne nous oblige à faire intervenir un psychologue ou un travailleur social plutôt qu’un médiateur santé-pair pour former les apprenants
Quels liens entretenez-vous avec les structures de terrain et notamment celles qui accueille des étudiants en stage ?
C’est un lien très important parce que nous mettons en œuvre des formations en alternance depuis les années 70 et donc l’articulation avec les terrains est essentielle et c’est un gros point d’attention. De surcroît, depuis 2015, quand la gratification est devenue obligatoire, l’offre de stage a été un peu impactée et on a régulièrement des étudiants qui restent sur le carreau, qui ne trouvent pas de stage. On ne peut plus seulement solliciter notre réseau de connaissance en passant quelques coups de fil : cela ne suffit plus et nous devons développer des stratégies et des savoirs faire chez les apprenants. Nos cadres pédagogiques sont régulièrement en visite sur les terrains de stage : cela a une fonction de maintien, construction et solidification du lien organisme de formation-sites qualifiants.
Ensuite, nous voulons conserver une approche basée sur les réalités professionnelles et donc le conseil d’administration de l’IRTS est composé essentiellement de directeurs ou de directeurs généraux d’associations qui gèrent des établissements. Par ailleurs plus de 50 % des intervenants sont des professionnels en activités que nous sollicitons ponctuellement. Sans eux, la formation ne pourrait pas se faire et n’aurait aucun sens.
Parlons plus précisément de l'addictologie : quelle est sa place dans la formation de l'IRTS ?
Cette question de la place des publics et des pratiques est régulière dans les interpellations qu’on reçoit : comme je le disais précédemment, c’est une question qui est posée par quasiment tous les secteurs ! Par exemple, des responsables de maisons d’accueil spécialisées peuvent me demander « Quelle est la place du polyhandicap dans les formations ? » Et chaque fois, je déçois en répondant qu’elle n’est pas très importante ! Parce qu’on a une approche par les compétences : on va davantage former les apprenants à comment on entre en contact avec un public, comment communiquer avec lui, comment faire du reporting, animer une réunion etc.
Sur la question des addictions, il y a maximum 12 ou 15 heures d’apports de contenus chaque année. Mais nous avons pris l’initiative dans les Hauts-de-France de créer un séminaire inter-école sur la question des addictions à destination des étudiants des différents établissements et on fait venir des experts du champ, des personnes concernées, etc. Ces trois jours de conférences, d’ateliers participatifs, de jeux, etc. permet une sensibilisation très efficace et c’est un moment qui marque les étudiants. Ça leur permet aussi d’envisager ce secteur pour leur avenir professionnel.
Cela fait 24 ans que nous organisons ce séminaire avec 5 000 à 600 étudiants par an. C’est une action pédagogique mais aussi militante et qu’il faut préserver.
Un mot de conclusion ?
Je dirais qu’en tant qu’étudiants comme professionnels, il faut se méfier au maximum des représentations que l’on peut avoir. Particulièrement dans le champ de l’addictologie où on entend de plus en plus de discours qui ne représentent pas, loin s’en faut, la réalité. Il faut garder l’esprit ouvert, curieux et s’intéresser aux personnes !