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Article rédigé par Benjamin Tubiana-Rey 22 février 2023
L’affaire Palmade remet la question du chemsex dans l’actualité. Le chemsex est une pratique spécifique à la communauté gay et qui n’est pas nouvelle : les professionnel·le·s de l’addictologie et les dispositifs de santé communautaire travaillent sur cette question depuis longtemps. On fait le point.

Le tragique accident de Pierre Palmade a remis dans l’actualité la question du chemsex. Un traitement médiatique qui, parfois, stigmatise les consommateurs de drogues et les gays. Mais qu’est-ce que le chemsex ? Qui le pratique et quels en sont les risques ? Quels dispositifs pour accompagner les chemsexeurs ?

Qu’est-ce que le chemsex et pourquoi concerne-t-il la communauté gay ?

Le mot chemsex est la contraction « chemicals » (produits chimiques) et « sex » : il s’agit de la prise de produits psychoactifs dans un contexte sexuel. Si cette simple définition pourrait concerner toute la population, on parle de chemsex dans un contexte précis, qui concerne presque exclusivement les hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes (HSH).

Ces consommations ont en effet lieu dans le cadre de sessions le plus souvent planifiées et organisées via des applications de rencontres telles que Grindr. Elles sont orientées vers le sexe en groupe et peuvent s’étendre sur plusieurs heures voire jours. Les produits consommés sont le plus souvent les cathinones de synthèse (comme la 3-MMC), le GHB/GBL, la méthamphétamine, la cocaïne, la kétamine.

Comme le note le RESPADD, « Il faut réinscrire le chemsex dans l’histoire des cultures sexuelles gaies qui laissent, au moins depuis les années 1970, une place importante au multipartenariat, au sexe en groupe et rencontres furtives, et qui sont, depuis les années 1980, marquées par l’épidémie de SIDA. » Par ailleurs « les modes de drague homosexuels ont évolué avec le développement exponentiel des sites internet et des applications géolocalisées dédiées aux rencontres. »

 

Quels sont les risques liés au chemsex ?

Comme toute consommation de produits psychoactifs, le chemsex comporte des risques à court terme : surdosage (G-hole, K-hole), abcès et plaies liés à l’injection, contamination par le VIH, les hépatites et d’autres IST. À moyen terme, il existe évidemment un risque de perte de contrôle de ses consommations et d’addiction. Mais le chemsex peut aussi avoir selon les personnes un risque de désocialisation et un impact sur la santé psychique.

La double stigmatisation dont peuvent être l’objet les chemsexeurs — en tant que consommateurs de drogues et en tant que gay — est un risque de limitation de l’accès aux soins.

Des ressources pour les professionnel·le·s

La Fédération Addiction et AIDES ont créé un groupe d’échanges et de partage de compétences sur le chemsex. Ce groupe est réservé aux professionnel·le·s du soin, de l’addictologie et de la réduction des risques.

Rejoindre le groupe Infos Chemsex Pro

Est-ce une pratique répandue ?

Car la prévalence du chemsex chez la communauté gay est aussi due à l’homophobie de la société. L’étude « Attentes et parcours liés au chemsex » mené par l’Observatoire français des drogues et tendances addictives (OFDT) montre qu’« Au travers des pratiques chemsex, certaines personnes disent s’autoriser à vivre leur homosexualité sans plus aucune entrave émotionnelle ni censure personnelle » car « Leur expérience du stigmate de l’homosexualité a bridé leur confiance, leurs démarches de séduction ou leur accès au plaisir pendant des années. »

Ainsi, selon les enquêtes, 13 à 14 % des HSH auraient pratiqué le chemsex au cours des douze derniers mois. L’OFDT souligne d’ailleurs que « Les trajectoires dans le chemsex se caractérisent par leur extrême diversité » :

« On peut découvrir les drogues en même temps que le chemsex à 18 ou 62 ans, en devenir dépendant en quelques semaines ou bien s’inscrire dans un usage contrôlé. »

Jonathan Rayneau, chargé de projets à la Fédération Addiction, rappelle que « La pratique du chemsex n’est pas nouvelle, elle existe depuis un moment. Parmi nos adhérents, certains accompagnent des chemsexeurs depuis une dizaine d’années. Mais les restrictions sanitaires dues à la crise pandémique ont accentué le phénomène. »

Quel accompagnement pour les chemsexeurs ?

Ainsi, parmi les structures accompagnant depuis longtemps les chemsexeurs, on peut notamment citer :

  • le CSAPA Villa floréal à Aix-en-Provence, dont la cheffe de service Muriel Grégoire, psychiatre addictologue, est pionnière dans l’accompagnement des chemsexeurs,
  • à Paris, le Checkpoint et le CSAPA Monceau du Groupe SOS, Charonne Oppelia, Le 190 et le Spot Beaumarchais (AIDES) proposent une prise en charge auprès de la communauté LGBTI,
  • à Bordeaux le CEID-Addictions a mis en place des consultations et groupe de parole dédiés au chemsex,
  • en Centre-Val de Loire, l’APLEAT-ACEP accueille des chemsexeurs au sein de ses structures à travers toute la région,
  • dans le Nord, Spiritek, qui intervient particulièrement en milieu festif, développe des outils de réductions des risques pour les chemsexeurs,
  • à Toulouse, l’association Clémence-Isaure a ouvert une permanence en santé communautaire et usages de produits au sein de son CAARUD.

De plus, l’analyse de produits est aussi un service proposé aux publics chemsexeurs. Certaines structures membres du réseau « Analyse ton prod’ » ont mis en place des permanences spécifiques tel qu’Analyse ton prod’ Île-de-France, le CEID Addictions (Nouvelle-Aquitaine) ou le CAARUD Lou Passagin du Groupe SOS (Nice).

On le voit, la prise en charge du chemsex est déjà une réalité sur le terrain… mais elle ne fait à l’heure actuelle pas l’objet d’un modèle qui soit spécifique et adapté aux besoins des personnes concernées. Un enjeu particulièrement important car le chemsex est au croisement de plusieurs champs : l’addictologie bien sûr mais également la santé communautaire, la santé mentale, etc.

C’est tout l’objet du projet ARPA-Chemsex ou « Accompagnement en réseau pluridisciplinaire amélioré », mené conjointement par la Fédération Addiction et AIDES. Il s’appuie à la fois sur des structures d’addictologie et des structures communautaires dans plusieurs villes : elles expérimentent la mise en place ou le renforcement d’une offre pluridisciplinaire en direction des chemsexeurs autour de trois axes :

  • la prévention sexuelle et communautaire,
  • la réduction des risques drogues,
  • l’orientation vers le soin.

À terme, ce projet mènera à la publication d’un guide d’accompagnement et à la création d’espaces de dialogues en ligne pour les intervenants.

Le rapport « Chemsex » remis au ministre de la Santé (2022) par Amine Benyamina