Prévention de l’alcoolisme par les producteurs d’alcool : alors, tout le monde est d’accord ? L’alcool est dangereux
Habilement, les acteurs de la filière viticole représentés par « Vin et société », ont annoncé mettre 2 millions d’euros sur la table pour financer 30 actions de prévention contre la dépendance à l’alcool de 2019 à 2022. La somme est moins spectaculaire qu’il n’y paraît, une obole au regard des dépenses de communication et de publicité qu’ils continueront d’engager sur la même période. Obole d’autant plus relative que les acteurs de la filière ne proposent pas de mettre cet argent à disposition des acteurs de la prévention qui accepteraient cette coopération mais seulement au profit d’actions qu’ils conduiront eux-mêmes. Le projet ayant été construit « avec l’ensemble des producteurs de boissons alcoolisées », les acteurs des filières bières et spiritueux », apportent eux aussi 2,8 millions de contribution à ces actions, ce qui complique l’analyse des liens d’intérêts, ne s’agissant plus simplement de « petits producteurs » mais d’importants acteurs industriels.
Un mélange dangereux ?
Cette annonce a provoqué les mêmes alertes de la part des professionnels de santé que lors de l’affaiblissement de la loi Évin ainsi qu’un rappel de la dénonciation du conflit d’intérêt dû à la nomination d’une lobbyiste, l’ancienne directrice de « Vin et société », à l’Élysée. Un appel à un plan « Alcool » fondé sur les données d’expertises scientifiques et non sur les intérêts des « alcooliers » a été lancé.
Responsabilité sociétale, indicateurs de santé et responsabilité de l’État
La Fédération Addiction, engagée depuis sa création en faveur d’une politique de régulation et observant que les acteurs de filières économiques paraissent vouloir s’engager contre les dangers de l’alcool, formule trois remarques :
- Les mesures phares ciblent les 3 motifs les plus consensuels (binge-drinking, alcool et grossesse, alcool et accidents de la route) validant ainsi la réalité des dangers d’une consommation d’alcool, y compris de vin, et les problèmes sociaux induits autant que les pathologies graves provoquées par l’abus. On peut s’en agacer ou en prendre acte, à l’exemple de Laurence Cottet, patiente experte ou de l’addictologue Fatma Bouvet de la Maisonneuve, pointant l’intérêt et les limites de cet engagement, ou encore de la Ministre de la Santé se félicitant d’avoir obtenu des industriels une évolution du logo « zéro alcool pendant la grossesse ».
- Ces professionnels de l’alcool, après avoir capté l’usage du mot « modération », se positionnent sur le terrain de la « responsabilité sociétale de l’entreprise » et de « l’usage responsable ». Pourquoi pas ! Mais cela ne peut se faire sous leur seule expertise et à leurs seules conditions. Trop de travaux scientifiques montrent l’inefficacité de l’autorégulation industrielle dans un contexte de concurrence économique. La posture responsable nécessite de prendre en compte les indicateurs donnés par les acteurs de la santé : arrêt des campagnes qui ciblent les jeunes et les femmes, de l’affichage en proximité des écoles et lieux de formations, du sponsoring même indirect de manifestations étudiantes, et d’une production de vin aux qualités œnologiques inexistantes et vendue à prix bas sous forme de mélange (rosé pamplemousse, etc..).
- Cette implication des professionnels ne peut dispenser l’État de prendre ses responsabilités en mettant en place les mesures qui lui reviennent et que recommandent les experts internationaux : prix minimum, limitation de la publicité, respect des différentes restrictions d’accès (vente aux mineurs et autres) et diffusion des repères d’usage actualisés.
La mise en place d’une politique de régulation de l’accès aux substances psychoactives
La Fédération Addiction appelle les pouvoirs publics à mettre en place une vraie politique de régulation de l’accès aux substances psychoactives, actuellement licites ou illicites, politique adaptée à l’évolution des pratiques des usagers et des dommages provoqués. Concernant l’alcool, et après plus de cinquante ans de diminution de la consommation totale d’alcool en France, il faut à la fois maintenir l’effort global tout en l’adaptant aux problématiques émergentes dont le « binge drinking ». Ne perdons pas de vue que la mortalité prématurée actuellement observée (cancers notamment) est la conséquence des modes de consommation d’il y a des décennies…
Préparons l’avenir et comme toujours en santé publique, cela doit être l’affaire de tous, sans stigmatisation.